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à plaindre, il trahit son ami, il est humilié, il finira peut-être mal, car c’est un homme sombre et mystique.

Sais-tu, ma tante, ajouta Paul, que cette femme-là a failli me faire bien du mal, à moi aussi ? Je peux te le dire à présent. J’étais plus épris d’elle que je ne te l’ai jamais avoué. Je ne me suis pas trahi devant elle ; mais elle le voyait malgré moi, c’est ce qui t’explique l’audace de ses aveux, et les rend, je ne dis pas moins coupables, mais moins impudents. Où en serais-je si je n’avais pas eu un peu de force morale ? Ne m’a-t-elle pas mis au bord d’un abîme ? Si j’ai failli perdre ma pauvre femme, n’est-ce pas parce que, ébloui et troublé, je manquais de clairvoyance et m’endormais sur la gravité de sa blessure ? On n’est jamais assez fort, crois-moi, et ne me reproche plus d’être un homme dur à moi-même. Si Marguerite n’eût été sublime dans sa folie, j’étais perdu. Je la laissais mourir sans voir ce qui la tuait. Elle avait sujet d’être jalouse. J’avais beau être impénétrable et invincible, son cœur, puissant par l’instinct, sentait le vertige du mien.

Tout cela est passé, mais non oublié. La belle marquise eût été fort aise hier de me voir rouler honteusement dans la poussière, sous le sabot de son destrier. Et moi, je me souviens pour me dire à toute heure : Ne laisse jamais entamer ta conscience de l’épaisseur d’un cheveu.

Aujourd’hui, 5 août 1866, Paul est l’heureux père d’une petite fille aussi belle que son frère, M. Dietrich a voulu être son parrain. Césarine n’a pas donné signe de vie, et nous lui en savons gré.