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CADIO. J’ai fait un vœu, Henri.

HENRI. Allons donc !

CADIO. Oui, je suis vierge, moi ! J’ai juré de n’appartenir à aucune femme avant le jour où j’aurai donné de mon sang à la République…

HENRI. Ne le donnes-tu pas tous les jours ?

CADIO. Tous les jours je l’offre ; mais les balles des chouans ne veulent pas entamer ma chair, et, devant mon regard, il semble que leurs baionnettes s’émoussent. Cela est bien étrange, n’est-ce pas ? J’ai traversé des boucheries où je suis quelquefois resté le seul intact. Je n’ai pas eu l’honneur de recevoir une égratignure, et j’en suis honteux. Voilà pourquoi je crois à la destinée. Il faut qu’elle me réserve une belle mort, ou qu’elle ait décidé que je ne serais jamais digne d’offrir à une femme la main qui a tant tué, sans avoir eu à essuyer sur mon corps le baptême de mon sang ! (Motus entre et fait le salut militaire.) Les chevaux sont prêts ?

MOTUS. Oui, mon capitaine.

CADIO, avec un trouble insurmontable. C’est bien, mon ami ! (Il sort avec Henri.)

MOTUS. Fichtre !… mon ami !… lui qui ne dit jamais ce mot-là au troupier ! — et ce regard triste et bon !… Fichtre ! Allons ! mon affaire est dans le sac ! c’est réglé ! c’est pour aujourd’hui. Sacredieu ! j’aurais pourtant voulu flanquer une raclée aux Anglais auparavant !

JAVOTTE, entrant pour desservir. Qu’est-ce que tu as donc, citoyen trompette ? Tu as l’air contrarié !

MOTUS. C’est une bêtise, belle Javotte ; dans notre état, il faut être toujours prêt à répondre à l’appel… Qu’un baiser fraternel de vos lèvres de roses me soit octroyé, et je prendrai la chose en douceur.