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mon colonel, qu’il a une pointe de religion dans la tête, comme qui dirait une dévotion à l’Être suprême, qui le précipite dans des extases et autres travers supérieurs de l’esprit, où il voit les choses qui doivent arriver, et même les événements qui se passent à la distance que les autres hommes ne peuvent s’en apercevoir. Toutes les batailles que nous avons perdues ou gagnées, il les a connues la veille, et même il a eu connaissance de ceux de nous qui devaient y passer l’arme à gauche.

HENRI. Allons donc ! est-ce qu’il vous a fait quelquefois des prédictions de ce genre ?

MOTUS. Non, mon colonel. En dehors du service, il ne parle pas ; mais, à sa manière d’agir, on voit qu’il connaît ce qui arrivera, et, à sa manière de regarder le troupier, on voit qu’il lit sur son visage le compte de ses heures.

HENRI. Allons, allons ! mon brave Motus, je vois que tu n’es pas aussi esprit fort que je le croyais, et qu’il y a toujours des superstitions dans nos troupes de l’Ouest. C’est le pays qui le veut ; vous avez pris ce mal-là du paysan…

REBEC, rentrant avec une oie rôtie. Javotte porte deux bouteilles de vin. Citoyen colonel, il y a là un paysan qui demande à vous parler ; il dit que vous l’attendez.

HENRI. Oui, fais-le entrer. (À Motus.) Va boire un coup à ma santé.

MOTUS. Je le ferai sensiblement, mon colonel. (Motus suit Rebec dans la cuisine. Le paysan breton entre.)