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ne sachant que faire de moi, on a pris le parti de m’ajourner de série en série, jusqu’au rappel de Carrier. Alors, soit à dessein, soit autrement, on m’a oubliée tout à fait, et j’ai dû à l’attachement d’une femme de geôlier, dont j’avais sauvé l’enfant malade en lui indiquant un remède, d’être mieux traitée que je ne l’avais été d’abord. Le séjour de ces geôles était horrible : couchées parmi les mortes et les mourantes qui se succédaient sur la paille, notre lit commun, nous sentions littéralement le cadavre, et, quand on emmenait une escouade de condamnées pour les faire mourir, les curieux s’écartaient dans la crainte de la contagion. Moi, j’ai eu dans ces derniers temps une petite cellule à moi seule avec un escalier de quelques marches qui me permettait d’aller respirer sur la plate-forme, où je pouvais marcher un peu en rond, tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre. On m’avait donné des vêtements propres et une nourriture presque suffisante. J’étais donc bien, et j’aurais dû moins souffrir. Eh bien, c’est le temps le plus rigoureux de ma captivité. Être seule, inutile, ne pouvoir plus s’oublier en s’occupant des autres ! Dans cet enfer de la prison commune, je parvenais à soulager quelques souffrances, à ranimer des courages par l’exemple de ma patience, à adoucir au moins la douleur par la part que j’y prenais. Toutes ces infortunées étaient mes amies,… des amies sans cesse renouvelées par le départ des unes et l’arrivée des autres. Celles qui mouraient dans mes bras me disaient : « Au revoir dans l’autre vie ! » Et, comme ce pouvait être mon tour le lendemain, la mort ne semblait plus être un adieu. Quand je me suis trouvée seule, je me suis aperçue de tout ce qui est lugubre dans une prison.