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assez vite, il faut s’en débarrasser. D’autres ont roulé dans la fange comme dans leur élément ; plusieurs,… celles qui valaient le mieux, sont devenues folles ; tout cela passe sur la lourde gabare, elles rient et sanglotent, elles chantent et rugissent, musique infernale ! Savent-elles où elles vont, cette fois ? Il y en a qui se sont parées comme pour une fête, mais leurs habits sont plus précieux que leurs personnes, à présent ; on les dépouille, toutes deviennent muettes d’horreur. Les coups de hache résonnent sourdement sur les flancs de la gabare… Les ouvriers sautent dans des batelets ; on coupe sans pitié les mains qui se cramponnent aux bourreaux. — L’eau bouillonne autour d’un immense cri de détresse brusquement étouffé. Des chevelures brunes et blondes flottent un instant et disparaissent, — plus rien ! La Loire est tranquille et contente ; elle a bu ce soir, elle boira demain ! Passons… Entrons dans les cachots. Les murs se fendent et s’entr’ouvrent devant nous. Viens, suis-moi, il faut tout voir. Tu recules ? L’atmosphère fétide éteint les flambeaux, c’est l’odeur de la peste. C’est cette odeur-là qui suinte à travers les murailles, qui traverse les rues et qui m’a presque fait mourir sur ce grabat où j’étais hier ; aussi je ne la crains plus, j’ai passé par le crible !… Entrons… Il y a là vingt, trente, cent cadavres épars dans les ténèbres ; deux ou trois spectres se traînent vers nous en tendant leurs mains décharnées ; ils trébuchent et tombent sur le corps de leurs frères et de leurs enfants. « Levez-vous et sortez, misérables, il faut mourir ! — Ah ! oui, sortir, merci ! c’est tout ce que nous demandons. Voir le ciel un instant, respirer une bouffée d’air pur, mourir après ; nous sommes contents ! »