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bruyère durant ces longues journées où je gardais les chèvres du fermier, je vous ai vu en rêve m’accablant de reproches, me menaçant de me tuer ou m’attirant dans le piége de vos séductions ! Plus d’une fois, égarée, j’ai couru le soir à travers la lande déserte, croyant entendre vos pas sur les miens et sentir dans mes cheveux votre main sanglante… Ayez pitié de moi ! ne me brisez pas de douleur, mais ne m’avilissez pas par un amour sans lendemain. J’aime mieux mourir, — et je me tuerais ! Vous savez bien que, si j’ai l’esprit timide, je n’ai pas le cœur lâche.

SAINT-GUELTAS. Et c’est pour cette chasteté craintive, c’est pour cette fierté tremblante que je t’adore, moi, ne le vois-tu pas ? Tu t’es confessée, je veux me confesser aussi. Le dépit m’a éloigné de toi plus souvent encore que les agitations et les obligations de la guerre. J’ai essayé, moi aussi, de t’oublier, de me distraire. Impossible ! ton image adorée me poursuivait, et, plus tard, pendant que tu voyais mon fantôme sur la bruyère, je voyais le tien errer autour de mon lit de douleur ; je le voyais tantôt dédaigneux et méfiant, tantôt éperdu et enivré… Mais le terme de tant d’épreuves approche, puisque, tel que je suis et indigne de toi, j’ai la gloire et le délice d’être aimé de toi. Ô Louise, laisse-moi te parler comme si tu m’appartenais déjà ! Laisse-moi te rassurer sur cet avenir qui t’épouvante ! J’ai raison d’y croire, va ! Tout homme de volonté a son étoile : les uns la placent au ciel, les autres dans leur âme seulement ; moi, je la vois en toi, et je ne demande qu’à toi la durée de mon énergie. Ce n’est pas là un rêve, et, si tu doutes, c’est que ton attachement n’est pas encore la passion que j’éprouve et que je veux t’inspirer. Oui, je veux que