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une fois en votre vie un bon mouvement de retour sur vous-même.

Il se passa bien une demi-heure avant que l’ex-armateur eût épuisé contre Marcel, contre madame Thierry et contre son défunt frère tout le dépit et toute la bile dont son cœur était plein. Quand Marcel, qui le harcelait cruellement, eut réussi à l’épuiser, il en eut raison, et le vieux Antoine lui raconta ce qui suit, à bâtons rompus, se faisant arracher pièce à pièce le secret de sa vie, qui était en même temps celui de son caractère.

Quarante ans avant l’époque où nous plaçons ce récit, mademoiselle de Meuil, enlevée par André Thierry, était venue demander asile avec son fiancé à Antoine Thierry, déjà riche et encore jeune. Jusque-là, les deux frères avaient vécu en bonne intelligence. Cachée à l’hôtel de Melcy, mademoiselle de Meuil avait témoigné à l’armateur une sincère amitié, une confiance sainte. Poursuivi par la famille de Meuil, exposé au danger d’être envoyé à la Bastille, André avait dû quitter Paris pour détourner les soupçons, pendant que des protecteurs puissants s’efforçaient et réussissaient peu à peu à accommoder ses affaires.

Durant cette séparation de quelques mois, mademoiselle de Meuil, livrée à de vives anxiétés, eut plus d’une fois le désir de retourner chez ses parents pour soustraire celui qu’elle aimait aux périls et aux malheurs qui le menaçaient. Plus d’une fois elle en parla à cœur ouvert avec le frère d’André, lui demandant