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— Cette aimable dame m’a dit sa naissance, son inclination, son bonheur passé, et elle allait m’entretenir de ce qu’elle appelle son bonheur présent, lorsque nous avons été interrompues. Je la croyais très-malheureuse, au contraire. Ne m’avait-on pas dit qu’elle était forcée de vendre tout ce qu’elle a ?

— C’est la vérité, répondit Marcel ; mais il y a dans le caractère de ma noble tante quelque chose que tout le monde ne peut pas comprendre, et que vous comprendrez pourtant très-bien, vous, madame la comtesse. Voici en deux mots l’histoire de son mari et la sienne. Mon oncle l’artiste avait un grand cœur, beaucoup de talent et d’esprit, mais fort peu d’ordre et pas du tout de prévoyance. N’ayant jamais rien possédé dans sa jeunesse et gagnant au jour le jour le nécessaire d’abord, le superflu ensuite, il se laissa entraîner par sa témérité naturelle, et, comme il avait des goûts un peu princiers, des goûts d’artiste, c’est tout dire, il établit bientôt sa dépense sur un pied très-agréable, mais très-précaire. Il aimait le monde, il y était goûté ; il n’y allait pas à pied, il avait voiture ; il donnait de petits dîners exquis dans ce qu’il appelait sa chaumière de Sèvres, encombrée de fantaisies luxueuses et d’objets d’art qui lui coûtaient gros : si bien qu’il s’endetta. L’avoir de sa femme paya le passé et soutint la continuation de cette vie hasardeuse et charmante. Quand il mourut, la dette s’était reconstituée de plus belle. Ma bonne tante le savait et ne voulait pas attrister, par la moindre pré-