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chercher l’oubli ou la distraction dans le mouvement et la fatigue ; tout cela l’inquiéterait. Vivre sans moi la tuerait. Il faut que je sois un héros ou un saint pour que ma mère vive ! Heureux les orphelins et les enfants abandonnés ! ils ne sont pas condamnés à porter un fardeau au-dessus de leurs forces !

Julien n’eut pas plutôt donné accès à cette révolte contre la destinée, que d’autres blasphèmes lui entrèrent dans l’âme. Pourquoi Julie était-elle venue troubler son rêve de dévouement et de vertu ? N’avait-il pas accepté tous les devoirs de sa position ? ne les remplissait-il pas d’une manière complète ? De quel droit cette femme, ennuyée de la solitude, s’était-elle emparée de la sienne ? N’était-elle pas lâche et coupable de lui avoir montré les joies du ciel, à lui qui n’espérait et ne demandait rien, pour le laisser ensuite à l’humiliation d’avoir cru en elle ?

— Tu as fait de moi un misérable ! lui criait-il du fond de son cœur ravagé de colère ; tu es cause que je ne m’estime plus, que je n’aime plus mon art, que je maudis l’amour de ma mère, que je ne crois plus à ma force et que j’ai ressenti la stupide et honteuse soif du suicide. Tu mérites que je me venge, que j’aille au milieu des tiens te reprocher la perte de mes croyances, de mon repos et de ma dignité. Je le ferai, je te dirai cela, je te foulerai aux pieds !

Et puis il pensa à l’avenir que voulait apparemment se réserver Julie, et toutes les horreurs de la jalousie se dressèrent devant lui. Il la vit dans les bras d’un