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naissons pas du tout, et pourtant nous nous aimons. Dieu est là qui nous entend et qui le sait bien, lui, puisqu’il l’a voulu, puisqu’il le veut !

— Oui, tu as raison, reprit-elle avec exaltation, car elle se sentait retrempée par la foi exaltée de son amant ; nous ne connaissons l’un de l’autre que notre amour. N’est-ce pas assez ? n’est-ce pas tout ? Qu’est-ce que le reste ? Tu es un artiste habile, un digne jeune homme, un bon fils : voilà ce que tout le monde sait de toi ; mais est-ce pour cela que je t’aime ? Je suis une honnête personne, assez généreuse et assez douce, tu as pu l’entendre dire ; mais ce n’est pas pour cela non plus que tu m’as aimée. Il y a d’autres hommes de bien, d’autres femmes estimables à qui nous n’eussions jamais songé à nous attacher ainsi ; nous nous aimons parce que nous nous aimons, voilà tout !

— Oui, oui, dit Julien, l’amour est comme Dieu, il est parce qu’il est, c’est l’absolu ! Qu’importe que nous découvrions l’un chez l’autre telle ou telle particularité d’esprit ou de caractère ? La grande, la seule affaire de notre vie, c’est de nous aimer, et, puisque nous possédons l’amour l’un de l’autre, nous nous connaissons depuis cent ans, depuis toujours,… cela n’a ni commencement ni fin !

Ils divaguèrent ainsi pendant plus d’une heure, à voix basse, dans l’atelier, qu’éclairait vaguement la lune à travers les arbres, Julie assise, Julien à genoux, les mains dans les mains, mais ne voulant pas échanger un baiser qui les eût perdus. Et tout à coup la