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est fort aimable, dit-on, et très-estimée. J’irai la voir demain, car je comprends que d’aller sans façon dans sa loge avant de lui en avoir demandé la permission ne serait pas convenable. Oui, oui, je veux faire connaissance avec elle, et nous irons un autre jour à quelque spectacle ensemble.

Marcel sourit, car il comprit fort bien la poltronnerie qui s’était emparée de sa noble cliente à l’idée d’être accusée de frayer avec la mauvaise compagnie. Elle trouvait cela cruel, injuste, insolent, absurde ; mais elle avait peur quand même : la peur ne se raisonne pas.

— Fort bien, fort bien, lui répondit Marcel ; je reconnais là votre délicatesse et votre bon cœur. Ma femme vous saura gré de l’intention, et, dès ce soir, elle serait flattée de vous offrir sa loge ; mais, croyez-moi, madame la comtesse, ni ce soir, ni demain, ni jamais, ne sortez de votre milieu, à moins d’une bonne raison bien nourrie et bien mûrie. Il faut manger quand on a faim, mais non se forcer quand on n’a que des velléités d’appétit. Le monde auquel vous tenez ne veut pas de mélange, et il ne faut le braver que pour un grand avantage personnel ou pour faire une très-bonne action. Personne ne comprendra que vous fassiez une chose en dehors du convenu pour le seul plaisir de la faire. On s’étonnera d’abord, et puis on cherchera des motifs graves ou cachés.

— Et que trouvera-t-on ? dit Julie inquiète.

— Rien, reprit Marcel ; on inventera, et ce qu’on invente est toujours malveillant.