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sait la vie de plaisirs imprévus, et dont le but semblait être la jouissance de tout ce qui est aimable, bien plus que la poursuite ambitieuse de la gloire. Il faisait des chefs-d’œuvre en s’amusant, et aucun souci n’approchait de son âme. Aujourd’hui, les nouveaux artistes se tourmentent pour faire mieux que leurs devanciers. On a inventé la critique. M. Diderot, que mon mari voyait beaucoup, lui apprenait souvent à s’estimer lui-même plus qu’il n’eût songé à le faire, et mon petit Julien écoutait ce grand esprit en le dévorant de ses grands yeux attentifs et curieux. M. Diderot disait alors : « Voilà un enfant qui a le feu sacré ! » Mais mon mari ne voulait pas qu’on lui mît trop d’idées dans la tête. Il pensait que le beau doit être vivement senti et pas trop étudié. Avait-il raison ? Il voulait orner l’imagination et ne pas la surcharger. Julien était doux et tranquille ; il lisait et rêvait beaucoup. Sa peinture est plus estimée des vrais connaisseurs que celle de son père, et, quand il parle des arts, on voit bien qu’il se rend compte de tout ; mais il ne plaît pas autant à tout le monde, et le monde lui plaît fort peu. Il se remplit la pensée de toute sorte de sujets de méditation, et quand je lui dis : « Tu ne ris pas, tu n’es pas gai, tu n’as pas l’emportement de ton âge, » il me répond : « Je suis heureux comme je suis. Je n’ai jamais besoin de m’étourdir. Il y a tant de sujets de réflexion ! »

Ces épanchements de madame Thierry révélaient peu à peu Julien à madame d’Estrelle, et l’espèce de