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Julien était plein de cette foi et de cette volonté qui semblaient providentiellement descendre sur la terre au moment marqué pour les grandes luttes ; mais il y portait un certain calme qui tenait au régime, à l’habitude et aussi au tempérament de sa pensée. Il y avait en lui, non à l’état de discussion, mais à celui d’instinct, un certain mysticisme philosophique et comme un besoin de se sacrifier. S’il n’eût aimé une femme, il eût aimé la liberté avec fanatisme. L’amour disposa de lui pour le dévouement. Aussitôt que Julie eut rempli son âme, il ne pensa plus à lui-même que comme à une force qui devait servir à protéger Julie. L’idée lui vint-elle qu’elle pouvait ou devait lui appartenir ? Oui, sans doute, elle lui vint, confuse, parfois impérieuse, mais vaillamment combattue. Il n’avait pas de préjugés, lui ; il n’était pas, comme l’oncle Antoine, ébloui par le rang, le titre, l’élégance ; il savait la naissance de Julie médiocre et sa fortune compromise. Il se sentait d’ailleurs son égal, car il était de ces hommes du tiers, remplis d’un légitime et tenace orgueil qui commençaient à se dire : Le tiers est tout, comme on a dit ensuite : Le peuple est tout, comme on dira un jour : Chacun est tout, sans nier aucune noblesse, qu’elle vienne de l’épée, de la toge, de l’usine ou de la charrue. Julien ne voyait donc pas dans la comtesse d’Estrelle une femme placée au-dessus de lui par les circonstances, mais bien par le mérite personnel. Ce mérite, il se l’exagérait peut-être, c’est le privilége de l’amour de graviter sans cesse vers les