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ment fort méchant quand on le blesse, et, s’il savait que Julien a commis ce sacrilège…

— C’est donc Julien décidément ? dit à son tour Marcel ébahi. Voilà qui est bien étrange !

— Eh bien, oui, c’est moi, c’est moi seul ! reprit Julien avec feu, et il n’y a rien d’étrange à cela…

— Si fait ! lui dit tout bas Marcel, qui ouvrait enfin les yeux sur le fond de la mésaventure. Tu es un peu trop fou, mon garçon, et il faut que ton cœur soit devenu aussi léger que ta cervelle pour sacrifier ainsi l’avenir de ta mère et le tien, sans compter que madame d’Estrelle est trop bonne, et qu’elle eût mieux fait de te remettre à ta place.

— Tais-toi, Marcel, tais-toi ! dit Julien, tu déraisonnes ; tu ne comprends pas…

— Je comprends trop, reprit Marcel, et, par ma foi, je suis comme ta mère à présent, je dis que tu perds l’esprit !

Ce dialogue à voix basse se passait dans l’embrasure de la fenêtre, tandis que les deux femmes parlaient ensemble auprès du vase où madame Thierry essayait de replanter de nouveau la tige du lis décapité, parlant au hasard et sans rien dire qui eût le sens commun ; car le plus grand sujet de son trouble n’était pas l’Antonia, mais bien plutôt l’orage de passion qui avait amené sa perte. Tout à coup Julien, qui avait l’habitude de toucher le rideau et d’interroger la fente par laquelle il voyait dans le jardin, imposa brusquement