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commotion terrible ; le trouble qui paralysait Julien la saisit tout entière, et elle resta un instant aussi muette, aussi immobile que lui.

Quiconque eût vu ce beau couple sorti des mains de Dieu dans quelque région inaccessible aux préjugés sociaux, et se rencontrant dans les conditions naïves et magnifiques de la logique suprême, se fût dit sans hésiter que cette logique de Dieu avait fait cet homme superbe pour cette femme charmante, et cette femme sensible et vraie pour cet homme ardent et fier. Tout était charme et douceur dans la grâce de Julie, tout était passion et magnanimité dans la beauté de Julien. En rencontrant enfin le regard l’un de l’autre dans ce rayon du soleil de mai, tout moite des parfums de la vie nouvelle, chacun d’eux prononça intérieurement, comme un cri d’irrésistible amour, les noms que le hasard leur avait donnés, Julie, Julien, comme s’ils eussent été destinés à n’en avoir qu’un pour deux.

Il fallut donc un grand effort de volonté pour qu’ils se souvinssent de ce qui séparait leur existence sociale.

— Au fait, pensa Julie, c’est ce jeune peintre ; j’ai cru voir un demi-dieu.

— Hélas ! se dit Julien, c’est cette grande dame ; j’ai cru voir la moitié de moi-même.

Elle le salua la première et lui demanda s’il était M. Julien Thierry. Il s’inclina profondément en disant d’un air de doute hypocrite :