— Ah ! jamais les lièvres ne multiplieront sur les terres du marquis ! dit M. de Morand d’un air goguenard en se frottant les mains. Et dis-moi, Joseph, tu n’as pas tiré sur la mère ?
— Plus souvent ! je sais le respect qu’on doit à la progéniture. Ah ! par exemple, nous lâcherons quelques coups de fusil à ces petits messieurs-là dans six mois, quand ils auront eu le temps d’être papas et mamans à leur tour.
— Oui, s’écria le marquis, je veux que nous fassions un dîner avec tous les voisins ; et, pour les faire enrager, on n’y servira que du lièvre tué sur les terres de Morand.
— Premier service, civet de lièvre, s’écria Joseph ; rôti, râbles de lapereaux ; entremets, filets de lièvre en salade, pâté de lièvre, purée, hachis… Les convives seront malades de colère et d’indigestion.
En réjouissant son hôte par ces grosses facéties, Joseph arriva avec lui au château. Le dîner fut bientôt prêt. Le fameux lièvre, qui peut-être avait passé son innocente vie à six lieues des terres du marquis, fut trouvé par lui savoureux et plein d’un goût de terroir qu’il prétendait reconnaître. Le marquis s’égaya de plus en plus à table, et quand il en sortit il était tout à fait bon homme et disposé à l’expansion. Joseph s’était observé, et tout en feignant de boire souvent, il avait ménagé son cerveau. Il fit alors en lui-même une récapitulation du plan