Page:Sand - Andre.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

et sème l’effroi de famille en famille. Elle s’efforce de pénétrer dans les métairies pour empoisonner les étables et faire périr les troupeaux. Les habitants sont forcés de soutenir chaque soir une espèce de siège, et c’est avec bien de la peine qu’ils parviennent à l’éloigner, car les balles de fusil ne l’atteignent point ; et les chiens fuient en hurlant à son approche. Au reste, la bête, ou plutôt l’esprit malin qui en emprunte la forme, est d’un aspect indéfinissable : plusieurs l’ont portée toute une nuit sur leur dos (car elle se livre à mille plaisanteries diaboliques avec les imprudents qu’elle rencontre dans les prés au clair de la lune), mais nul ne l’a jamais vue distinctement. On sait seulement qu’elle change de stature à volonté. Dans l’espace de quelques instants elle passe de la taille d’une chèvre à celle d’un lapin, et de celle d’un loup à celle d’un bœuf ; mais ce n’est ni un lapin, ni une chèvre, ni un bœuf, ni un loup, ni un chien enragé : c’est la grand’bête ; c’est le fléau des campagnes, la terreur des habitants, et le triste présage d’une prochaine épidémie parmi les bestiaux.

Joseph se rappelait malgré lui toutes ces traditions effrayantes ; mais s’il n’avait pas l’esprit assez fort pour les repousser, du moins il se sentait assez de courage et le bras assez prompt pour ne jamais reculer devant le danger.

Il s’étonnait de ne point trouver Geneviève au lieu qu’elle lui avait indiqué, lorsqu’un bruit de chaînes