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et, de cinq ans en cinq ans, on le voyait arrondir son domaine de quelque bonne terre labourable ou de quelque beau carrefour de hêtre et de chêne noir. Du reste, sa maison était honorable sinon élégante, sa cuisine confortable sinon exquise, son vin généreux, ses bidets pleins de vigueur, ses chiens bien ouverts et bien évidés au flanc, ses amis nombreux et bons buveurs, ses servantes hautes en couleur et quelque peu barbues. Dans son jardin fleurissaient les plus beaux espaliers du pays ; dans ses prés paissaient les plus belles vaches ; enfin, quoique les limites du château et de la ferme ne fussent ni bien tracées ni bien gardées, quoique les poules et les abeilles fussent un peu trop accoutumées au salon, que la saine odeur des étables pénétrât fortement dans la salle à manger, il n’est pas moins certain que la vie pouvait être douce, active, facile et sage derrière les vieux murs du château de Morand.

Mais André de Morand, le fils unique du marquis, n’en jugeait pas ainsi ; il faisait de vains efforts pour se renfermer dans la sphère de cette existence, qui convenait si bien aux goûts et aux facultés de ceux qui l’entouraient. Seul et chagrin parmi tous ces gens occupés d’affaires lucratives et de commodes plaisirs, il s’adressait des questions dangereuses : « À quoi bon ces fatigues, et que sont ces jouissances ? Travailler pour arriver à ce but, est-ce la peine ? Quel est le plus rude, de se condamner à ces amusements ou de se laisser tuer par l’ennui ? »