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— Si vous me le racontiez vous-même ?

— Non, ce serait trop long, et je ne veux pas qu’il me surprenne ici.

— Vous vous réjouissiez à l’idée de le voir ?

— Je ne dois pas le revoir. Il est sans doute remarié ?

— Non, et l’on dit qu’il veut rester veuf.

— Il a sans doute des enfants ?

— Il paraît que non. Il vit tout seul et veut vivre ainsi.

— Pauvre cher ange ! Il ne se console pas de la perte de sa femme !

— Ce n’est pas cela. Il n’a pas été heureux avec elle.

— Alors, qu’est-ce que c’est donc ?

— Que sait-on ? Vous, peut-être ?

— Moi ? Quelle folie ? Je n’ai jamais rien été et ne serai jamais rien dans sa vie.

— Mais il est quelque chose dans la vôtre ?

— Dans la mienne, il est tout. Mais quelle différence !

— Voyons, racontez-moi donc… je vais envoyer dormir ce garde qui tourne autour de nous.

— Eh bien, comme vous voudrez. Je peux raconter tout ce que je suis et tout ce que j’ai été. Quand on est une ballerine condamnée à vivre à peu près nue sous les regards du public, il est bon d’avoir une âme que l’on peut dévoiler avec autant d’assurance que son pauvre corps.

Frappé, comme tu peux croire, de cet épisode chorégraphique, je m’assurai que le garde était allé sur le chemin attendre l’arrivée du maître, et je priai Mlle Fiori de parler.

— Je suis, me dit-elle, une enfant trouvée abandonnée par des parents inconnus.

— Oh ! oh ! c’est juste le commencement de ma propre histoire !

— Vrai ? Eh bien nous sommes deux parvenus dans toute la force du mot. M. Fiori n’était pas mon père ; c’était un vieux danseur désormais sans emploi, vivant de quelques leçons qu’il donnait là où il en pouvait trouver, lorsque, passant dans la montagne où je gardais encore les chèvres à l’âge de dix ans, il me vit danser sur l’herbe avec mes compagnes une espèce de