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ALBINE[1]



LE DERNIER ROMAN DE GEORGE SAND


DEUXIÈME PARTIE


SIXIÈME LETTRE

Juste Odoard à Mlle  de Nesmes, à Lyon.


Château d’Autremont, le…


Ah ! d’abord, la confession que je t’ai promise ! Imagine-toi qu’à Lyon, il y a cinq ans, en proie aux délicieuses agitations du premier amour, — c’était bien le premier, puisque je m’en souviens si bien, — je commis l’énormité d’acheter un superbe bouquet avec l’intention de le lancer à ma jeune nymphe. Mais au moment où j’allais le faire, une pluie de fleurs tomba sur elle des avant-scènes et de l’orchestre. Je me sentis tout honteux. Je m’étais flatté d’avoir eu seul cette idée de l’acclamer, parce que, les jours précédents, on s’était contenté de l’applaudir. Je me figurais que mon bouquet lancé au moment où elle saluait, ferait sur elle un effet prodigieux. Mais trente bouquets devancèrent le mien. Honteux et dépité, je le gardai dans mon chapeau entre mes genoux, attendant je ne sais quel moment favorable qui ne se présenta plus, et je sortis du théâtre, remportant mon offrande inaperçue et ma douleur incomprise.

Je rencontrai sur la place une douzaine de camarades qui

  1. Tous droits réservés. — Voir la Nouvelle Revue du 1er  mars.