Page:Sand - Albine, partie 1 (La Nouvelle Revue, 1881).djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mière. Était-ce la peine d’être jeune, gentille et frétillante, comme disait papa, pour laisser mes os sur ce rocher hanté par les vautours ? Plains-moi, et si Maximilien te demande de mes nouvelles, dis-lui que je suis parfaitement heureuse et satisfaite. Mais, à toi, je puis bien dire que mes parents eussent mieux fait de me laisser épouser ce petit officier sans nom et sans fortune qui, du moins, partageait tous mes goûts, et qui, n’ayant guère plus d’esprit et de savoir que moi, ne m’eût pas infligé le supplice d’être par trop son inférieure. Ah ! l’ambition des parents fait loi dans le monde et c’est tant pis pour nous ! »

Telle est la teneur et tels sont les principaux griefs de cette lettre que j’abrège beaucoup, mais dont le dernier trait enfonça le poison dans mon cœur. Ainsi, non seulement j’étais ridicule et insupportable à ma femme, mais elle en avait aimé un autre qu’elle regrettait ! Je l’avais rencontré chez elle, ce Maximilien. C’était un véritable idiot ! Je sentis du mépris pour elle, de la colère contre ses parents qui m’avaient trompé. Mon pauvre père avait souhaité ce mariage pour moi, parce que la mère de ma femme avait été la meilleure amie de ma mère. Cette personne excellente et charmante, pour qui je me sentais le cœur d’un fils, je la détestais, du moment que je découvrais le mobile de sa conduite.

La jalousie me dévorait. Je ne voulus rien laisser paraître, mais ma femme vit bien, à mon attitude et à l’altération de mes traits, que je savais tout ; un peu effrayée de mon air sombre, elle me remit cette affreuse lettre, en me disant qu’elle n’avait pas compté l’envoyer et qu’elle l’avait écrite uniquement pour se soulager et se distraire. Que ce fût le brouillon ou l’original, que la lettre fût partie ou non, peu m’importait, je n’aimais plus ma femme, je la trouvais foncièrement égoïste et cruelle, jusqu’à souhaiter la mort de mon père.

J’avais tort, j’ai hâte de vous le dire. Ses épanchements n’avaient pas la portée que je leur attribuais. Elle était légère, et quand elle essayait de réfléchir et de résumer, elle dépassait le but. « À qui la faute ? me disait-elle, on ne m’a pas appris cela, ou je n’ai pas pu l’apprendre. Pourquoi, vous qui êtes un homme supérieur, ne m’avez-vous pas fait subir un examen