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jeune homme préférait dormir dans ses fourrures et voulait repartir à la première éclaircie. Enfin il me quitta en disant au garde de me faire du thé, ajoutant que M.  le duc, s’il arrivait, serait peut-être content de trouver une boisson chaude avant de gravir la montagne.

Quand le thé fut prêt, je pensai encore à ce jeune voyageur qui se morfondait dans sa voiture, et je résolus d’aller lui en offrir une tasse.

— Ici, ma chère mère, j’ouvre une parenthèse pour te demander pardon des minuties de mon racontage. Comme il est toujours prolixe ! vas-tu dire. Qu’ai-je besoin de m’occuper de ce voyageur qui passe et que nous ne reverrons plus. Oh ? pardon, tu vas t’intéresser à lui, car il y a là certainement une aventure. Et d’abord, te souviens-tu d’Albine Fiori, cette petite danseuse de passage qui fit fureur à Lyon pendant un mois en…, il y a cinq ans ? Oh ! certainement tu t’en souviens, car j’en étais amoureux fou, et tu t’en inquiétais assez ! J’allais tous les soirs au théâtre ; je mettais mes plus beaux habits et faisais une notable consommation de cravates neuves, comme si elle eût dû m’apercevoir et me remarquer dans la foule. Le fait est qu’elle ne me remarqua pas du tout ; mais j’en fus un peu consolé en apprenant qu’elle n’avait remarqué personne, qu’elle était tenue de près par son père et qu’elle était une enfant parfaitement innocente ou raisonnable. Il faut pourtant que je te confesse aujourd’hui…

On m’apporte ta lettre. Tu te portes tout à fait bien. Je suis heureux ! Tu me fais mille questions : je vais te répondre en continuant ma lettre. J’ai le temps ; M.  le duc a envoyé un exprès. Il sera de retour pour dîner. Je reprends mon récit des évènements de la nuit dernière.

juste odoard.


George SAND.


(La deuxième partie à la prochaine livraison.)