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moins. Pour le passé, il avait la générosité ; pour l’avenir, le courage des forts.

Cet homme, oublieux sans ingratitude, entreprenant sans outrecuidance, ne se connaissait pas d’ennemis, parce qu’il n’enviait et ne haïssait personne. Il aimait l’art avec son imagination et avec ses entrailles. Il ne savait donc ce que c’est que la jalousie et les mille odieuses petitesses qui désolent la profession de l’artiste.

Il aimait le monde et la solitude, l’inaction complète et le travail dévorant, le bruit et le silence, la jouissance et le rêve. La succession rapide de ses goûts et de ses changements d’habitudes pouvait paraître du caprice et de l’inconséquence : c’était, au contraire, l’effet d’une logique naturelle qui le poussait à se compléter par des jouissances diverses.

Il aimait aussi les voyages. Il avait parcouru l’Europe, et, tout en courant vite, tout en vivant beaucoup pour son compte, son grand œil bleu, qui voyait bien, avait embrassé, dans une appréciation juste, les hommes et les choses. Cette expérience ne l’avait rendu ni amer ni pessimiste en aucune façon. Les belles âmes ont une bonté souveraine qui leur fait une loi facile de l’indulgence, une foi solide du progrès.

— Il faudrait être niais pour ne pas voir le mal, disait-il ; il faut être impitoyable pour le croire éternel.

D’Argères avait donc de grands instincts religieux. Il