Page:Sand - Adriani.djvu/281

Cette page n’a pas encore été corrigée

avait développé en lui des facultés nouvelles. Il avait acquis la connaissance des effets véritables, l’entente des masses musicales. Il savait le théâtre, en un mot, non pas seulement comme virtuose, mais comme compositeur, dans une sphère plus étendue que celle où il s’était renfermé seul auparavant. Il n’avait pas, comme le baron de West, ébauché le plan d’un opéra. Il apportait des opéras plein son cœur et plein sa tête, de quoi travailler à loisir et créer avec délices tout le reste de sa vie. Il n’entrait donc pas dans l’oisiveté du riche en venant prendre possession de son petit manoir.

Trois ans plus tôt, il n’eût sans doute pas oublié l’art, mais il se fût arrêté dans son essor ; et qui sait si Laure ne l’eût pas entravé dans ses progrès, en lui persuadant et en se persuadant à elle-même qu’il n’en avait point à faire ? L’artiste meurt quand il divorce avec le public d’une manière absolue. Il lui est aussi nuisible de se reprendre entièrement que de se donner avec excès. Il s’épuise à demeurer toujours sur la brèche. La lutte ardente et passionnée arrive, à la longue, à troubler sa vue et à n’exciter plus que ses nerfs. Il a besoin de rentrer souvent en lui-même, et de se poser face à face, comme Adriani l’avait dit, avec l’humanité abstraite. Mais une abstraction ne lui suffit pas continuellement : elle arrive à le troubler aussi, et tout excès de parti pris conduit aux mêmes vertiges.