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la mémoire de son ami ; mais il condamna son œuvre, source d’illusions, d’orgueil et de démence, poursuite de réalités qui sont le fléau du vrai, le but diamétralement opposé à la destinée de l’homme sur la terre et aux fins de la Providence.

Et, quand il pensa à son amour, il se demanda s’il eût été digne d’en savourer sans remords l’éternelle douceur. Il lui sembla que, pour embrasser et retenir l’idéal, il fallait avoir souffert et travaillé plus qu’il n’avait fait.

— Voilà pourquoi j’ai aimé Laure avec idolâtrie dès les premiers jours, se dit-il : c’est qu’elle avait bu le calice de la douleur et que je la sentais digne d’entrer dans le repos des félicités bien acquises ; et voilà aussi pourquoi elle ne m’a pas aimé de même ; voilà pourquoi elle a hésité, et pourquoi, malgré ses propres efforts, elle a été préservée de ma passion. Je ne la méritais pas, moi qui n’avais cueilli dans la vie d’artiste que des roses sans épines ; je n’avais pas reçu le baptême de l’esclavage ; je ne m’étais en fait immolé à rien et à personne. Elle sentait bien que je n’avais pas, comme elle, subi ma part de martyre et que je n’étais pas son égal.

Il lui écrivit sous l’impression de ces pensées, et l’informa de toute la vérité en lui disant un éternel adieu.

Là, son âme se brisa encore. Il ne reprit courage qu’en regardant encore le front dévasté de Descombes