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tous les virtuoses ! Ce ne serait plus le blâme de l’orgueil nobiliaire : ce serait l’anathème religieux le plus absolu, le plus foudroyant. Jamais il n’y aurait de retour possible. Qu’elle eût dit d’un acteur : « Oui, je l’aime ! » elle était pour jamais repoussée, seule avec lui dans le monde.

— Elle est capable de ce sacrifice, pensa-t-il ; mais sais-je si elle m’aime ? Et, si cela est, qu’ai-je fait jusqu’ici pour elle ? Quel droit ai-je acquis à son dévouement, pour aller le lui imposer ? Non, si elle me l’offrait en ce moment, je serais lâche de l’accepter. Si j’eusse été engagé à l’Opéra, il y a trois semaines, aurais-je seulement la pensée de m’offrir à elle pour me charger de sa destinée ? Je me serais cru imprudent d’y songer. Et à présent, de quel front irai-je lui dire : « Je ne suis pas libre, je ne m’appartiens plus, je n’ai même pas de quoi vous faire vivre de mon travail, puisque je suis esclave d’une dette d’argent autant qu’esclave du public et du théâtre. Tout ce que je vous ai affirmé est un rêve, tout ce que je vous ai promis est un leurre. Suivez-moi, sacrifiez-moi tout ; je n’ai aucune protection, aucune indépendance, aucun repos, aucune solitude, aucune intimité à vous donner en échange ; je n’ai même pas cette pure et modeste gloire que vous chérissiez. Venez, aimez-moi quand même, parce que je vous désire. Soyez la femme d’un comédien ! »