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— Le malheureux se disait-il, il a tué Laure aussi. Je l’avais presque guérie, je l’aurais sauvée, et la voilà seule pour jamais. Qui l’aimera comme moi, qui la convaincra comme j’aurais su le faire ? Qui sera libre, comme je l’étais, de lui consacrer des années de patience et toute une vie de bonheur ? Qui la comprendra ? Qui lui pardonnera d’avoir aimé ? Qui la devinera et la jugera capable d’aimer encore ? Oui, Laure est perdue, car il faut qu’elle retombe dans son morne désespoir ou qu’elle accepte l’amour d’un homme sans ressource et sans fierté : un homme taré par le plus fatal hasard… un hasard auquel personne ne croira peut-être !… Un banqueroutier, moi aussi !

Il se calma en arrêtant sa pensée sur ce dernier point. Personne ne pouvait l’accuser d’avoir spéculé sur une prétendue fortune, puisqu’il n’avait pas touché une obole pour son compte. Il lui serait facile de le prouver, Le froid public, qui assiste en amateur aux désastres de la réalité, rirait de son aventure. On dirait :

— Voilà un pauvre diable qui s’est cru seigneur, du jour au lendemain, et dont le réveil est fort maussade.

Ce serait tout. Mais quel triste personnage allait jouer l’amant, presque le fiancé de la jeune marquise ! Comme on allait l’accuser de se rattacher à elle pour réparer sa débâcle par un bon mariage ! Quel blâme, quelle ironie, la noble famille de Laure, la vieille marquise en tête.