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de beaucoup la chanson de la villageoise qui tourne son rouet ou berce son poupon. Il avait rarement éprouvé des jouissances complètes en écoutant les autres artistes ; il eût pu compter ceux qui l’avaient transporté par le beau dans le simple, et par le grand dans le vrai. Il eut un de ces transports de joie en découvrant chez Laure un instinct supérieur et des facultés d’interprétation que les leçons avaient pu développer, mais non créer en elle. Ce n’était pas la première élève de tel ou tel professeur faisant dire, à chaque effort de la manière : « Je te reconnais, méthode ! » C’était une individualité adorable, qui s’était aidée de la connaissance scientifique suffisante pour se produire vis-à-vis d’elle-même, dans sa nature d’intelligence et de cœur ; c’était une de ces puissances d’élite que, dans toute une vie, l’on rencontre tout au plus deux ou trois fois, pour vous faire entendre ce qu’on a dans l’âme.

Adriani fut heureux surtout de constater que cette individualité avait dû comprendre la sienne propre, jusque dans ses plus exquises délicatesses. C’est toujours une souffrance secrète pour un artiste que de se voir admiré et applaudi sur la foi d’autrui, ou par rapport à celles de ses qualités qu’il estime le moins. Jusque-là, il avait senti, chez Laure, une intelligence éclairée par le cœur autant que par des connaissances spéciales ; mais il ne savait pas qu’un génie égal au sien lui tenait compte de