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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

tissaient sur les dalles. Je ne voyais rien ; mais j’entendais tous ces bruits, et mon cœur était serré d’épouvante. Mayer m’avait quittée avec précipitation ; mais je ne songeais pas à me réjouir d’en être délivrée : je me reprochais amèrement de lui avoir signalé, sans savoir de quoi il s’agissait, l’évasion de quelque malheureux prisonnier. J’attendais glacée de terreur, la fin de l’aventure, frémissant à chaque coup de fusil tiré par intervalles, écoutant avec anxiété si les cris du fugitif blessé ne m’annonceraient pas son désastre.



C’est lui ! me disait Gottlieb… (Page 78.)

« Tout cela dura plus d’une heure ; et, grâce au ciel, le fugitif ne fut ni aperçu ni atteint. Pour m’en assurer, j’avais été rejoindre les Schwartz sur l’esplanade. Ils étaient tellement troublés et agités eux-mêmes, qu’ils ne songèrent pas à s’étonner de me voir hors de ma cellule, au milieu de la nuit. Peut-être aussi avaient-ils été d’accord avec Mayer pour m’en laisser sortir cette nuit-là. Schwartz, après avoir couru comme un fou et s’être assuré qu’aucun des captifs confiés à sa garde ne lui manquait, commençait à se tranquilliser un peu ; mais sa femme et lui étaient frappés d’une consternation douloureuse, comme si le salut d’un homme était, à leurs yeux, une calamité publique et privée, un énorme attentat contre la justice céleste. Les autres guichetiers, les soldats qui allaient et venaient tout effarés, échangeaient avec eux des paroles qui exprimaient le même désespoir, la même terreur : à leurs yeux, c’est apparemment le plus noir des crimes que la tentative d’une évasion. Ô Dieu de bonté ! qu’ils me parurent affreux, ces mercenaires dévoués au barbare emploi de priver leurs semblables du droit sacré d’être libres ! Mais tout à coup il sembla que la suprême équité eût résolu d’infliger un châtiment exemplaire à mes deux gardiens. Madame Schwartz, étant rentrée un instant dans son bouge, en ressortit avec de grands cris :

« — Gottlieb ! Gottlieb ! disait-elle d’une voix étouffée. Arrêtez ! ne tirez pas, ne tuez pas mon fils ! c’est lui ; bien certainement c’est lui ! »

« Au milieu de l’agitation des deux Schwartz, je compris, par leurs discours entrecoupés, que Gottlieb ne se trouvait ni dans son lit, ni dans aucun coin de leur demeure, et que probablement il avait repris, sans qu’on s’en aperçût, ses anciennes habitudes de courir, en dormant, sur les toits. Gottlieb était somnambule !