Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 9, 1856.pdf/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

« En voilà bien long sur un rouge-gorge. Je ne me croyais pas si enfant. Est-ce que la prison conduirait à l’idiotisme ? ou bien y a-t-il un mystère de sympathie et d’affection entre tout ce qui respire sous le ciel ? J’ai eu ici mon clavecin pendant quelques jours. J’ai pu travailler, étudier, composer, chanter… rien de tout cela ne m’a émue jusqu’ici autant que la visite de ce petit oiseau, de cet être ! Oui, c’est un être, et c’est pour cela que mon cœur a battu en le voyant près de moi. Cependant mon gardien est un être aussi, un être de mon espèce ; sa femme, son fils que je vois plusieurs fois le jour, la sentinelle qui se promène jour et nuit sur le rempart et qui ne me perd pas de vue, ce sont des êtres mieux organisés, des amis naturels, des frères devant Dieu ; pourtant leur aspect m’est beaucoup plus pénible qu’agréable. Ce gardien me fait l’effet d’un guichet, sa femme d’un cadenas, son fils d’une pierre scellée dans le mur. Dans le soldat qui me garde je ne vois qu’un fusil braqué sur moi. Il me semble que ces gens-là n’ont rien d’humain, rien de vivant, que ce sont des machines, des instruments de torture et de mort. Si ce n’était la crainte d’être impie, je les haïrais… Ô mon rouge-gorge ! toi, je t’aime, il n’y a pas à dire, je le sens. Explique qui pourra ce genre d’amour. »



M. de Saint-Germain.

Le 5. — « Autre événement. Voilà le billet que j’ai reçu ce matin, d’une écriture peu lisible, sur un morceau de papier fort malpropre :

« Ma sœur, puisque l’esprit te visite, tu es une sainte, j’en étais bien sûr. Je suis ton ami et ton serviteur. Dispose de moi, et commande tout ce que tu voudras à ton frère. »

« Quel est cet ami, ce frère improvisé ? Impossible de deviner. J’ai trouvé cela sur ma fenêtre ce matin, en l’ouvrant pour dire bonjour au rouge-gorge. Serait-ce lui qui me l’aurait apporté ? Je suis tentée de croire que c’est lui qui me l’a écrit. Tant il y a qu’il me connaît, le cher petit être, et qu’il commence à m’aimer. Il ne s’approche presque jamais de la cuisine des Schwartz, dont la lucarne exhale une odeur de graisse chaude qui monte chez moi, et qui n’est pas le moindre désagrément de mon habitation. Mais je ne désire plus d’en changer depuis que mon petit oiseau l’adopte. Il a trop