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SPIRIDION.

vu passer une ombre sans pouvoir m’expliquer ensuite ces choses d’une manière naturelle.



Alors le prieur me toisant de la tête aux pieds… (Page 13.)

« Et quelles étaient ces paroles ? dit Alexis.

— Un appel à Dieu en faveur des victimes de l’ignorance et de l’imposture.

— Comment appelait-il celui qu’il invoquait ? Disait-il : Ô Esprit ! ou bien disait-il : Ô Jéhovah !

— Il disait : Ô Esprit de sagesse !

— Et comment était faite cette ombre ?

— Je ne le sais point. Elle sortit de l’obscurité, et se perdit dans le rayon qui tombait de la fenêtre, avant que j’eusse eu le temps ou le courage de l’examiner. Mais, écoutez, mon bon maître, j’ai toujours pensé que c’était vous qui, appuyé contre la fenêtre, et vous parlant à vous-même… »

Alexis fit un geste d’incrédulité.

« Pourriez-vous avoir gardé le souvenir du contraire, sans cesse errant, à cette époque, dans les jardins, et fortement préoccupé comme vous l’êtes toujours ?

— Mais tu l’as vu d’autres fois encore ? interrompit Alexis avec une sorte de violence. Tu ne veux pas me dire tout, tu veux que je meure sans léguer mon secret à un ami ! Réponds à cette question, du moins. Quand tu te promenais seul dans les beaux jours, le long des allées écartées du jardin, et qu’en proie à de douloureuses pensées, tu invoquais une providence amie des hommes, n’as-tu pas entendu derrière tes pas d’autres pas qui faisaient crier le sable ? »

Je tressaillis, et lui dis que ce bruit de pas m’avait poursuivi dans la salle du chapitre la veille même.

« Et alors rien ne t’est apparu ? »

J’avouai l’effet prodigieux du soleil sur le portrait du fondateur. Il serra ses mains l’une dans l’autre avec transport, en répétant à plusieurs reprises :

« C’est lui, c’est lui !… Il t’a choisi, il t’a envoyé, il veut que je te parle. Eh bien ! je vais te parler. Recueille tes pensées, et qu’une vaine curiosité n’agite point ton âme. Reçois la confidence que je vais te faire, comme les fleurs au matin reçoivent avec calme la délicieuse rosée du ciel. As-tu jamais entendu parler de Samuel Hébronius ?

— Oui, mon père, s’il est en effet le même que l’abbé Spiridion. »

Et je lui rapportai ce que le trésorier m’avait raconté.