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CONSUELO.

senta sur le seuil : c’était un jeune homme d’une haute taille et d’une superbe figure, mais d’une pâleur effrayante. Il était vêtu de noir de la tête aux pieds, et une riche pelisse de velours garnie de martre était retenue sur ses épaules par des brandebourgs et des agrafes d’or. Ses longs cheveux, noirs comme l’ébène, tombaient en désordre sur ses joues pâles, un peu voilées par une barbe soyeuse qui bouclait naturellement. Il fit aux serviteurs qui s’étaient avancés à sa rencontre un geste impératif, qui les força de reculer et les tint immobiles à distance, comme si son regard les eut fascinés. Puis, se retournant vers le comte Christian, qui venait derrière lui :

« Je vous assure, mon père, dit-il d’une voix harmonieuse et avec l’accent le plus noble, que je n’ai jamais été aussi calme. Quelque chose de grand s’est accompli dans ma destinée, et la paix du ciel est descendue sur notre maison.



C’était un jeune homme de haute taille… (Page 56.)

— Que Dieu t’entende, mon enfant ! » répondit le vieillard en étendant la main comme pour le bénir.

Le jeune homme inclina profondément sa tête sous la main de son père ; puis, se redressant avec une expression douce et sereine, il s’avança jusqu’au milieu de la salle, sourit faiblement en touchant du bout des doigts la main que lui tendait Amélie, et regarda fixement Consuelo pendant quelques secondes. Frappée d’un respect involontaire, Consuelo le salua en baissant les yeux. Mais il ne lui rendit pas son salut, et continua à la regarder.

« Cette jeune personne, lui dit la chanoinesse en allemand, c’est celle que… »

Mais il l’interrompit par un geste qui semblait dire : Ne me parlez pas, ne dérangez pas le cours de mes pensées. Puis il se détourna sans donner le moindre témoignage de surprise ou d’intérêt, et sortit lentement par la grande porte.

« Il faut, ma chère demoiselle, dit la chanoinesse, que vous excusiez…

— Ma tante, je vous demande pardon de vous interrompre, dit Amélie ; mais vous parlez allemand à la signora qui ne l’entend point.

— Pardonnez-moi, bonne signora, répondit Consuelo en italien ; j’ai parlé beaucoup de langues dans mon enfance, car j’ai beaucoup voyagé ; je me souviens assez de l’allemand pour le comprendre parfaitement. Je n’ose