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CONSUELO.

J’espère que tu m’achèteras quelque chose pour faire de petits présents aux jeunes filles du quartier.



Hanz resta immobile. (Page 54.)

— Oui, oui ! répondit Anzoleto tout égaré. »

Il s’enfuit la mort dans l’âme, et vit dans la cour toutes les commères de l’endroit qui mettaient à l’enchère le lit et la table de Consuelo ; ce lit où il l’avait vue dormir, cette table où il l’avait vue travailler !

« Ô mon Dieu ! déjà plus rien d’elle ! » s’écria-t-il involontairement en se tordant les mains.

Il eut envie d’aller poignarder la Corilla.

Au bout de trois jours il remonta sur le théâtre avec la Corilla. Tous deux furent outrageusement sifflés, et on fut obligé de baisser le rideau sans pouvoir achever la pièce : Anzoleto était furieux, et la Corilla impassible.

« Voici ce que me vaut ta protection, » lui dit-il d’un ton menaçant dès qu’il se retrouva seul avec elle.

La prima-donna lui répondit avec beaucoup de tranquillité :

« Tu t’affectes de peu, mon pauvre enfant ; on voit que tu ne connais guère le public et que tu n’as jamais affronté ses caprices. J’étais si bien préparée à l’échec de ce soir, que je ne m’étais pas donné la peine de repasser mon rôle : et si je ne t’ai pas annoncé ce qui devait arriver, c’est parce que je savais bien que tu n’aurais pas le courage d’entrer en scène avec la certitude d’être sifflé. Maintenant il faut que tu saches ce qui nous attend encore. La prochaine fois nous serons maltraités de plus belle. Trois, quatre, six, huit représentations peut-être, se passeront ainsi ; mais durant ces orages une opposition se manifestera en notre faveur. Fussions-nous les derniers cabotins du monde, l’esprit de contradiction et d’indépendance nous susciterait encore des partisans de plus en plus zélés. Il y a tant de gens qui croient se grandir en outrageant les autres, qu’il n’en manque pas qui croient se grandir aussi en les protégeant. Après une douzaine d’épreuves, durant lesquelles la salle sera un champ de bataille entre les sifflets et les applaudissements, les récalcitrants se fatigueront, les opiniâtres bouderont, et nous entrerons dans une nouvelle phase. La portion du public qui nous aura soutenus sans trop savoir pourquoi, nous écoutera assez froidement ; ce sera pour nous comme un nouveau début, et alors, c’est à nous, vive Dieu ! de passionner cet auditoire, et de rester les maîtres. Je te prédis de grands succès pour ce mo-