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LIBRAIRIE BLANCHARD.
Rue Richelieu, 78
LIBRAIRIE MARESCQ ET Cie,
5, rue du Pont-de-Lodi.
ÉDITION J. HETZEL



CONSUELO

NOTICE

Ce long roman de Consuelo, suivi de la Comtesse de Rudolstadt et accompagné, lors de sa publication dans la Revue indépendante, de deux notices sur Jean Ziska et Procope le Grand, forme un tout assez important comme appréciation et résumé de mœurs historiques. Le roman n’est pas bien conduit. Il va souvent un peu à l’aventure, a-t-on dit ; il manque de proportion. C’est l’opinion de mes amis, et je la crois fondée. Ce défaut, qui ne consiste pas dans un décousu, mais dans une sinuosité exagérée d’événements, a été l’effet de mon infirmité ordinaire : l’absence de plan. Je le corrige ordinairement beaucoup quand l’ouvrage, terminé, est entier dans mes mains. Mais la grande consommation de livres nouveaux qui s’est faite de 1835 à 1845 particulièrement, la concurrence des journaux et des revues, l’avidité des lecteurs, complice de celle des éditeurs, ce furent là des causes de production rapide et de publication pour ainsi dire forcée. Je m’intéressais vivement au succès de la Revue indépendante, fondée par mes amis Pierre Leroux et Louis Viardot, continuée par mes amis Ferdinand François et Pernet. J’avais commencé Consuelo avec le projet de ne faire qu’une nouvelle. Ce commencement plut, et on m’engagea à le développer, en me faisant pressentir tout ce que le dix-huitième siècle offrait d’intérêt sous le rapport de l’art, de la philosophie et du merveilleux, trois éléments produits par ce siècle d’une façon très-hétérogène en apparence, et dont le lien était cependant curieux et piquant à établir sans trop de fantaisie.

Dès lors, j’avançai dans mon sujet, au jour le jour, lisant beaucoup et produisant aussitôt, pour chaque numéro de la Revue (car on me priait de ne pas m’interrompre), un fragment assez considérable.

Je sentais bien que cette manière de travailler n’était pas normale et offrait de grands dangers ; ce n’était pas la première fois que je m’y étais laissé entraîner ; mais, dans un ouvrage d’aussi longue haleine et appuyé sur tant de réalités historiques, l’entreprise était téméraire. La première condition d’un ouvrage d’art, c’est le temps et la liberté. Je parle ici de la liberté qui consiste à revenir sur ses pas quand on s’aperçoit qu’on a quitté son chemin pour se jeter dans une traverse ; je parle du temps qu’il faudrait se réserver pour abandonner les sentiers hasardeux et retrouver la ligne droite. L’absence de