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CONSUELO.

du peuple. Elle se soumit, et abandonna sa belle taille aux couturières à la mode, qui n’en tirèrent point mauvais parti et n’épargnèrent point l’étoffe. Ainsi transformée au bout de deux jours en femme élégante, forcée d’accepter aussi un rang de perles fines que le comte lui présenta comme le paiement de la soirée où elle avait chanté devant lui et ses amis, elle fut encore belle, sinon comme il convenait à son genre de beauté, mais comme il fallait qu’elle le devînt pour être comprise par les yeux vulgaires. Ce résultat ne fut pourtant jamais complètement obtenu. Au premier abord, Consuelo ne frappait et n’éblouissait personne. Elle fut toujours pâle, et ses habitudes studieuses et modestes ôtèrent à son regard cet éclat continuel qu’acquièrent les yeux des femmes dont l’unique pensée est de briller. Le fond de son caractère comme celui de sa physionomie était sérieux et réfléchi. On pouvait la regarder manger, parler de choses indifférentes, s’ennuyer poliment au milieu des banalités de la vie du monde, sans se douter qu’elle fût belle. Mais que le sourire d’un enjouement qui s’alliait aisément à cette sérénité de son âme vînt effleurer ses traits, on commençait à la trouver agréable. Et puis, qu’elle s’animât davantage, qu’elle s’intéressât vivement à l’action extérieure, qu’elle s’attendrît, quelle s’exaltât, qu’elle entrât dans la manifestation de son sentiment intérieur et dans l’exercice de sa force cachée, elle rayonnait de tous les feux du génie et de l’amour ; c’était un autre rêve : on était ravi, passionné, anéanti à son gré, et sans qu’elle se rendît compte du mystère de sa puissance.



Le Porpora.

Aussi ce que le comte éprouvait pour elle l’étonnait et le tourmentait étrangement. Il y avait dans cet homme du monde des fibres d’artiste qui n’avaient pas encore vibré, et qu’elle faisait frémir de mouvements inconnus. Mais cette révélation ne pouvait pénétrer assez avant dans l’âme du patricien, pour qu’il comprît l’impuissance et la pauvreté des moyens de séduction qu’il voulait employer auprès d’une femme en tout différente de celle qu’il avait su corrompre.

Il prit patience, et résolut d’essayer sur elle les effets de l’émulation. Il la conduisit dans sa loge au théâtre, afin qu’elle vît les succès de la Corilla, et que l’ambition s’éveillât en elle. Mais le résultat de cette épreuve fut fort différent de ce qu’il en attendait. Consuelo sortit du théâtre froide, silencieuse, fatiguée et non émue de ce