Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 8, 1855.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
PROCOPE LE GRAND.

armée de vingt mille chevaux, et de trente mille hommes de pied, avec trois mille chariots attelés de six, de huit, et même de quatorze chevaux. Ils étaient commandés par Procope le Rasé, Guillaume de Kostka et Jean Zmrzlik. Ils firent une nouvelle irruption sur la Misnie, et retournèrent jusqu’au delà de Dresde. À Grimme et à Colditz près de Leipsick, ils battirent l’électeur de Brandebourg et repoussèrent une armée de confédérés, commandée par plusieurs princes et prélats qui venaient au secours de leur voisin. Mais la division était parmi ces seigneurs ; l’empire germanique était en pleine dissolution, et la race allemande ne pouvait lutter contre les Bohémiens.

L’ivresse fanatique des Hussites augmentait avec leurs victoires. Ils prirent Allenbourg, ville impériale de la Misnie, et y exercèrent d’effrayantes représailles des bûchers de Jean et de Jérôme. La ville entière, avec la noblesse et les moines, fut à son tour un vaste bûcher. Parmi les vaincus, il y avait un bouffon qui s’écria : « Nous avons cuit l’oie, mais les Bohémiens nous donnent la sauce. » Allusion au nom de Huss, qui signifie oie.

Dans le Voigtland, après avoir brûlé quatre villes, ils assiégèrent Plaven et la traitèrent comme Altenbourg. Enfin, après avoir ravagé la Saxe et le duché de Cobourg, brûlé Culmbach, Bareith, forcé l’évêque de Bamberg à racheter sa ville pour neuf mille ducats d’or, arraché les mêmes actes de capitulation à l’électeur de Brandebourg, au duc de Bavière, au marquis d’Anspach, à l’évêque de Salzbourg, etc., ils exigèrent dix mille ducats d’or de Nuremberg pour l’épargner, et rentrèrent en Bohême au milieu de l’hiver. On compte « plus de cent places, tant forts que villes, qui furent détruits dans cette expédition. »

1429 et 1430 virent mourir deux des héros de cette histoire : le premier fut Jacobel ou Jacques de Mise, l’ami de Jean Huss et le principal instigateur de la révolution de Bohême, homme éminent sous tous les rapports, et théologien redoutable à l’église romaine. Le second fut le cardinal évêque d’Olmutz, ce Jean de Prague ou Jean de Fer, prélat aux inclinations martiales, au courage de lion, mais dont la vaillante épée ne put servir la cause de Rome en proportion du mal que lui firent les écrits et les prédications de son compatriote Jacobel.

L’Empereur, épouvanté des progrès des Hussites, se rendit à Nuremberg, et y convoqua une diète qui dura huit mois. Presque tous les prélats et princes de l’Empire s’y rendirent, et il fut résolu une nouvelle expédition, que les historiens comptent pour la sixième, bien qu’elle soit effectivement la septième contre les Bohémiens. Le pape y envoya son légat pour prêcher en personne la croisade. La bulle de Martin contenait ces chefs principaux : « On accorde cent jours d’indulgences à ceux qui assisteront aux prédications du légat. — Indulgence plénière tant à ceux qui se croiseront et qui iront à la sainte guerre, soit qu’ils y arrivent heureusement, soit qu’ils meurent en chemin, qu’à ceux qui, n’étant pas en état d’y aller eux-mêmes, y enverront à leurs dépens ou aux dépens d’autrui. — On remet soixante jours de pénitence aux personnes de l’un et de l’autre sexe qui, pendant l’expédition, feront des prières et jeûneront pour son heureux succès. — On ordonne de fournir des confesseurs aux croisés, soit séculiers, soit réguliers, pour entendre leurs confessions et leur donner l’absolution, quand même ils auraient usé de violence contre des clercs ou des religieux, quand ils auraient brûlé des églises ou commis d’autres sacriléges, et même dans les cas réservés au siége apostolique. On défend aux confesseurs de prendre des croisés au delà d’un demi-gros de Bohême, pour la confession, et cela quand on l’offrira et sans l’exiger. — On dispense de leurs vœux ceux qui en auraient fait pour quelque pèlerinage, comme à Rome ou à Saint-Jacques de Compostelle, à condition que l’argent qu’ils auraient pu dépenser en ces voyages sera employé à la croisade. »

Ce fut là le dernier acte de Martin. Il mourut d’une attaque d’apoplexie, le 30 janvier 1431. On l’ensevelit dans un mausolée d’airain, avec ces paroles pour épitaphe : « Il fut la félicité de son temps, » ironie sanglante à la destinée de ces temps malheureux !

Dès le 6 mars, quatorze cardinaux élurent Eugène iv, en lui imposant des conditions de soumission qu’il ne tint pas mieux que son prédécesseur. Le cardinal Julien fut confirmé dans la charge de légat en Allemagne pour la réduction des Bohémiens, et envoya des lettres et mandements d’un langage si haineux et si fanatique, qu’on les croirait aussi bien émanés de Tabor ou du camp des Orphelins que de la chaire pontificale. Les damnables hérétiques y sont comparés à l’aspic, aux bêtes farouches, etc. ; et au milieu de l’énergie d’expression que comportait une époque si tragique, ces pièces ont une éloquence ampoulée qui est aussi un des traits caractéristiques de l’école apostolique et romaine au quinzième siècle.

Pendant les préparatifs de la guerre, Sigismond s’avança jusqu’à Egra, et envoya deux seigneurs à Prague pour faire une nouvelle tentative d’accommodement. Il comptait sur la lassitude et la démoralisation du juste-milieu. Il savait que le Hussitisme s’était effacé autant que possible dans l’esprit des gentilshommes de Bohême, sorte de bourgeoisie noble attachée à ses intérêts plus qu’à ses doctrines. Cependant il connaissait mal l’espèce de résistance sourde et tenace dont est capable une bourgeoisie en train de s’affranchir. Les quatre articles des Calixtins étaient moins pour eux, comme nous l’avons dit souvent, des articles de foi, que des droits politiques, et il n’était pas si facile de les leur enlever qu’on se l’imaginait. Les Taborites, plus courageux et plus croyants, consentaient à reconnaître Sigismond, à la condition qu’il observerait lesdits articles, non-seulement quant à la forme, mais quant au fond, et qu’il les entendrait dans les sens politique et religieux. Ils s’obstinaient donc à le faire communier à leur façon, lui et toute sa grandesse hongroise et catholique. Quant aux Orphelins, inflexibles dans leur austère jacobinisme, ils ne voulaient aucune composition, et s’indignaient des illusions généreuses du candide Procope. Une députation à laquelle on adjoignit un prêtre taborite alla toutefois discuter avec l’Empereur pendant quinze jours ; mais Sigismond avait besoin de nouvelles leçons pour s’amender et se convaincre de la nécessité des concessions. Il n’accordait rien, et pendant ce temps ses plénipotentiaires intriguaient à Prague pour semer la division et lui faire des créatures. Et pendant ce temps aussi, on prêchait la croisade, et on armait tout l’Empire contre la Bohême. Les Orphelins s’écrièrent que les lenteurs de la conférence étaient un piége de Sigismond pour les endormir et pour fondre sur eux à l’improviste. La méfiance et la peur relevèrent le courage des Calixtins. Les députés furent rappelés, et quittèrent Sigismond avec cette protestation : « qu’on ne pouvait plus désormais reprocher aux Bohémiens de ne vouloir pas terminer par une paix loyale une guerre si désastreuse, puisqu’il était notoire que c’était la faute des autres, et non la leur. »

Lorsqu’ils firent leur rapport à Prague, les seigneurs, consternés, appelèrent le peuple aux armes, et proclamèrent le danger de la patrie pendant la procession de la Fête-Dieu. Le peuple entra en fureur, et le Cheval roux fut chargé de mille malédictions nouvelles. Le juste-milieu envoya avertir les troupes de loups, les petits cousins et toutes les bandes les plus effroyables des Taborites, des Orébites et des Orphelins. Elles s’étaient dispersées, sans s’inquiéter du résultat de la diète, dans de nouvelles expéditions à l’extérieur et aux frontières. Tous revinrent, et « mirent sous leurs pieds leurs inimitiés et leurs discordes, pour ne penser plus qu’au salut de leur patrie. Les grands de Bohême et de Moravie s’unirent étroitement dans la même vue, les villes renouvelèrent leurs confédérations. Petits et grands, on vit tout le monde s’armer avec une allégresse commune. De sorte qu’en fort peu de temps il se trouva, à la revue qui fut faite dans le cercle de Pilsen, cinquante mille hommes d’infanterie et sept mille chevaux sous les armes, avec trois mille six cents chariots. D’autre côté, on prit soin de garder les avenues. Les dis-