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LE CERCLE HIPPIQUE

sans sont restreints dans les limites du possible. Ce possible ne va pas loin. Les ressources à consacrer au salut du pauvre sont vite épuisées. Elles sont proportionnées au revenu, aux charges de famille et de position plus ou moins bien entendues. La charité particulière apporte un certain soulagement dans un certain rayon. Oui, c’est la question d’un peu plus ou d’un peu moins, suivant l’économie ou la libéralité de chacun. Ceux qui font tout le bien possible font immensément, vu la difficulté quasi insoluble d’être généreux sans se ruiner, dans cette société. Ils ne font presque rien si l’on considère le fait contre lequel leurs efforts se brisent ; la chaumière à côté du château, la fièvre et la misère permanentes liées au sol, tandis que le riche se déplace à son gré, et ne vient respirer l’air des campagnes qu’à certains jours, au milieu des jouissances qu’il porte avec lui et qui lui servent de contre-poison contre l’insalubrité de ses domaines. Si le riche n’était pas gouvernement, il faudrait l’absoudre quand il est inoffensif, et le bénir quand il est paternel. Mais le riche est électeur, éligible, les chambres font les lois. La majorité des riches est donc sans entrailles ?

La portion de la noblesse qui proteste contre ces majorités, ou qui, par dégoût, refuse de prendre part aux défaites parlementaires de toute bonne intention, retrouve, dans un certain sens, la supériorité morale que lui avait enlevée la révolution. On lui retira alors de vains et injustes privilèges, on fit fort bien. Sous la Restauration, elle voulut les recouvrer, et se perdit une seconde fois. À l’heure qu’il est, lorsqu’elle ne fait point cause commune avec le règne de l’argent, et lorsqu’elle ne conspire point pour un principe monarchique désavoué par le pays, son rôle est plus beau qu’il ne l’a jamais été. Il ne lui reste du passé qu’un seul droit : celui de faire le bien. C’est là, comme dit la chanson, le plus beau droit du seigneur. Quand le châtelain est riche et répand ses bienfaits autour de lui, comme il a beau jeu contre l’industrie qui l’a renversé du pouvoir ! Retiré sur ses domaines, innocent des spéculations gouvernementales, patriarche aimé du paysan, qu’il soigne dans ses maladies et assiste dans sa détresse, il se venge, en vrai gentilhomme, du financier, ce faux ami du peuple, qui, après avoir exploité, en 1830, la bonne foi des masses, les écrase aujourd’hui, comme faisaient, au temps jadis, les rudes barons de la féodalité.

Vengez-vous ainsi, et vengez-vous beaucoup, patriciens ! Parmi les parvenus, il en est qui le sont bien légitimement par leur mérite : vous vous entendez facilement avec ceux-ci. Quant aux simples parvenus de fortune, entraînez-les, si vous pouvez, par l’émulation ; sinon, faites-leur la guerre avec les armes qui sont dans vos mains. Achetez, par la bonté, le cœur des pauvres, et opposez cela aux consciences des électeurs achetées par l’appât de la cupidité. L’orgueil est dans votre sang, et, en attendant le règne de l’Évangile, qui condamne même l’orgueil de la vertu, ayez celui de la vertu ! Il vaut mieux que celui des écus et des blasons.

Ce qui caractérise le Berry autant que l’hospitalité et la libéralité de sa vieille noblesse, c’est l’indépendance et le dévouement d’une notable partie de sa bourgeoisie démocratique. Là, comme partout, le paysan n’a point encore d’idées sur les choses générales, quoique, dans les détails qui intéressent sa vie morale et physique, il soit éminemment judicieux. L’ouvrier des manufactures ne semble point cultivé comme celui des grands centres de population. Sans doute, là comme ailleurs, il rêve et creuse son problème ; mais, là plus qu’ailleurs, il souffre et se tait. Le petit bourgeois, qui est tout près du peuple par son origine ; l’avocat, le curé de campagne, le médecin, le notaire, ceux enfin qui touchent a ce qu’il y a de plus fier et à ce qu’il y a de plus humble dans le monde, le mince propriétaire qui, vivant aux champs, sait cultiver son esprit dans de doux loisirs ; ces hommes-là, dans la Brenne comme dans la Vallée-Noire, sont portés, en grand nombre, à faire le bien.

DIGRESSION.

Je veux rappeler, en passant, un fait digne de remarque. Dans la petite ville de La Châtre (5,000 âmes), il y a huit médecins ; ce qui atteste qu’ils ne font point fortune, et auraient grand besoin d’être largement payés. Eh bien, tous exercent la médecine quasi gratis, dans les campagnes. Quand on a voulu dernièrement organiser chez nous une association de charité (que, par malheur, l’administration a refusé d’autoriser), ces huit médecins se sont trouvés tout prêts à exercer leurs fonctions envers les pauvres pour l’amour de Dieu. Par ce détail, et par le nombre de souscriptions rapidement couvertes, par le zèle des commissaires à s’enquérir des besoins des misérables qui pullulent dans cette ville, à leur porter du linge, du travail ; à leur ouvrir des salles d’asile, des écoles, des secours à domicile, on peut juger de nos bons cœurs berrichons.

Quelle inconcevable méfiance ou quelle légèreté impardonnable égare donc l’administration gouvernementale lorsqu’elle paralyse de si nobles élans ? Craint-elle que les élections ne s’en ressentent ? Le pauvre sera donc victime de la honte du système !

LE CERCLE HIPPIQUE.

Le gouvernement n’a encore fait pour la Brenne que très-peu, comparativement à ses grands besoins. Les conseils généraux s’en occupent, on en parle, on espère. Mais jusqu’à présent les améliorations notables sont venues des particuliers. Il en est une dont la pensée appartient à un noble propriétaire, et dont l’exécution repose presque entièrement encore sur le dévouement et le zèle d’une association d’individus. C’est l’institution du Cercle hippique de Mézières, encouragée et faiblement subventionnée par les ministères de la guerre et de l’agriculture.

HISTOIRE DE LA BRENNE.

Pour faire comprendre l’importance de cette création, il faut rappeler succinctement l’histoire agricole de la Brenne. MM. de la Tremblais, Navelet et de Lancosme-Brèves l’ont fait dans plusieurs écrits remarquables.

Couverte jadis de vastes forêts bien arrosées, cette contrée fut incendiée, en partie, par les habitants, qui sans doute disputèrent aux nobles veneurs, leurs suzerains, une terre que ceux-ci regardaient comme un lieu de plaisance pour courre le cerf, et que les pauvres voulaient convertir en vastes parcours pour leurs troupeaux. Puis vinrent les communautés religieuses, qui, propriétaires de grandes étendues de pays, et voyant leurs usines dévorer le reste des bois, cherchèrent une source de revenus dans le produit des étangs. Les barrages établis, les eaux retenues et multipliées, détruisirent par la souche ce qui demeurait de ces chênes séculaires, et la contrée commença à devenir malsaine, le climat mortel. Les bras manquant à la culture et le bois aux forges, la ressource funeste des étangs fut mise à profit avec une imprévoyance toujours croissante. La Brenne devint alors une sorte de désert, dont les pâles et rares habitants se traînaient sur un sol ruiné, respiraient des miasmes fétides, et mouraient avant d’atteindre la moitié de la durée moyenne de la vie.

En 93, la Convention ordonna la suppression des étangs dans certaines localités. Cette sage mesure porta ses fruits. La moyenne des décès fut d’un tiers moindre pendant la période de 1793 à 1802, dans laquelle la mesure du dessèchement fut observée, que pendant la période de 1803 à 1842, où elle fut abandonnée, et les étangs remis en eaux.

La grande propriété qui, en Angleterre et en Irlande principalement, a chassé l’homme de ses domaines, l’a donc tué dans la Brenne. À l’heure qu’il est, elle voudrait repeupler le pays, chasser la fièvre, créer des ressources au paysan. Les hommes riches comprennent, soit par le cœur, soit par la raison, qu’il est d’un intérêt mal entendu de s’isoler de la population, et ils travaillent à réparer la faute des aïeux. Plusieurs, nous le croyons fermement, sont poussés à cette entreprise par des sentiments d’humanité et le cri d’une bonne conscience.