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CONSUELO.

aux autres qu’il est mort, il en serait fort content, à condition toutefois qu’il ne le crût pas lui-même.



Métastase essaya de se défendre contre ce charme. (Page 242.)

— Voilà une sotte manie pour un grand homme, répondit Consuelo. Que faudra-t-il donc lui dire, s’il ne faut lui parler ni de guérison, ni de mort ?

— Il faut lui parler de sa maladie, lui faire mille questions, écouter tout le détail de ses souffrances et de ses incommodités, et, pour conclure, lui dire qu’il ne se soigne pas assez, qu’il s’oublie lui-même, qu’il ne se ménage point, qu’il travaille trop. De cette façon, nous le disposerons en notre faveur.

— N’allons-nous pas lui demander pourtant de faire un poème et de vous le faire mettre en musique, afin que je puisse le chanter ? Comment pouvons-nous à la fois lui conseiller de ne point écrire et le conjurer d’écrire pour nous au plus vite ?

— Tout cela s’arrange dans la conversation ; il ne s’agit que de placer les choses à propos. »

Le maestro voulait que son élève sût se rendre agréable au poète ; mais, sa causticité naturelle ne lui permettant point de dissimuler les ridicules d’autrui, il commettait lui-même la maladresse de disposer Consuelo à l’examen clairvoyant, et à cette sorte de mépris intérieur qui nous rend peu aimables et peu sympathiques à ceux dont le besoin est d’être flattés et admirés sans réserve. Incapable d’adulation et de tromperie, elle souffrit d’entendre le Porpora caresser les misères du poëte, et le railler cruellement sous les dehors d’une pieuse commisération pour des maux imaginaires. Elle en rougit plusieurs fois, et ne put que garder un silence pénible, en dépit des signes que lui faisait son maître pour qu’elle le secondât.

La réputation de Consuelo commençait à se répandre à Vienne ; elle avait chanté dans plusieurs salons, et son admission au théâtre italien était une hypothèse qui agitait un peu la coterie musicale. Métastase était tout-puissant ; que Consuelo gagnât sa sympathie en caressant à propos son amour-propre, et il pouvait confier au Porpora le soin de mettre en musique son Attilio Regolo, qu’il gardait en portefeuille depuis plusieurs années. Il était donc bien nécessaire que l’élève plaidât pour le maître, car le maître ne plaisait nullement au poëte impérial. Métastase n’était pas Italien pour rien, et les Italiens ne se trompent pas aisément les uns les autres. Il avait trop de finesse et de pénétration pour ne point savoir