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CONSUELO.

pas ; car je n’aime pas les lenteurs. Vous êtes une charmante fille, pleine d’intelligence et de douceur ; vous me plaisez beaucoup, et, dès le premier coup d’œil que j’ai jeté sur vous, j’ai vu que vous n’étiez pas faite pour courir la prétantaine avec ce petit drôle. J’aurai soin de lui pourtant ; je l’enverrai à Roswald, et je me charge de son sort. Quant à vous, vous resterez à Vienne. Je vous y logerai convenablement, et même, si vous êtes prudente et modeste, je vous produirai dans le monde. Quand vous saurez la musique, vous serez la primadonna de mon théâtre, et vous reverrez votre petit ami de rencontre, quand je vous mènerai à ma résidence. Est-ce entendu ?



Joseph se vengea de leurs dédains en leur jouant du violon.
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— Oui, monsieur le comte, répondit Consuelo avec beaucoup de gravité et en faisant un grand salut ; c’est parfaitement entendu. »

Joseph rentra en cet instant avec le valet de chambre qui portait deux flambeaux, et le comte sortit en donnant un petit coup sur la joue de Joseph et en adressant à Consuelo un sourire d’intelligence.

« Il est d’un ridicule achevé, dit Joseph à sa compagne dès qu’il fut seul avec elle.

— Plus achevé encore que tu ne penses, lui répondit-elle d’un air pensif.

— C’est égal, c’est le meilleur homme du monde, et il me sera fort utile à Vienne.

— Oui, à Vienne, tant que tu voudras, Beppo ; mais à Passaw, il ne le sera pas le moins du monde, je t’en avertis. Où sont nos effets, Joseph ?

— Dans la cuisine. Je vais les prendre pour les monter dans nos chambres, qui sont charmantes, à ce qu’on m’a dit. Vous allez donc enfin vous reposer !

— Bon Joseph, dit Consuelo en haussant les épaules. Allons, reprit-elle, va vite chercher ton paquet, et renonce à ta jolie chambre et au bon lit où tu prétendais si bien dormir. Nous quittons cette maison à l’instant même ; m’entends-tu ? Dépêche-toi, car on va sûrement fermer les portes. »

Haydn crut rêver.

« Par exemple ! s’écria-t-il : ces grands seigneurs seraient-ils aussi des racoleurs ?

— Je crains encore plus le Hoditz que le Mayer, répondit Consuelo avec impatience. Allons, cours, n’hésite pas, ou je te laisse, et je pars seule. »