Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 8, 1855.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
CONSUELO.

ensuite tranquillement sur la grande route ; et, à la première occasion favorable, je louerais une voiture et des chevaux. »



Mais il reconnut aussitôt son guide… (Page 158.)

Cette pensée lui fit porter la main à sa poche pour y prendre sa bourse, et calculer ce qu’après son généreux paiement au guide qui l’avait fait sortir de Riesenburg, il lui restait d’argent pour entreprendre ce long et difficile voyage. Elle ne s’était pas encore donné le temps d’y réfléchir ; et si elle eût fait toutes les réflexions que suggérait la prudence, eût-elle résolu cette fuite aventureuse ? Mais quelles furent sa surprise et sa consternation, lorsqu’elle trouva sa bourse beaucoup plus légère qu’elle ne l’avait supposée dans son empressement, elle n’avait emporté tout au plus que la moitié de la petite somme qu’elle possédait ; ou bien elle avait donné au guide, dans l’obscurité, des pièces d’or pour de l’argent ; ou bien encore, en ouvrant sa bourse pour le payer, elle avait laissé tomber dans la poussière de la route une partie de sa fortune. Tant il y a qu’après avoir bien compté et recompté sans pouvoir se faire illusion sur ses faibles ressources, elle reconnut qu’il fallait faire à pied toute la route de Vienne.

Cette découverte lui causa un peu de découragement, non pas à cause de la fatigue, qu’elle ne redoutait point, mais à cause des dangers, inséparables pour une jeune femme, d’une aussi longue route pédestre. La peur que jusque là elle avait surmontée, en se persuadant que bientôt elle pourrait se mettre dans une voiture à l’abri des aventures de grand chemin, commença à parler plus haut qu’elle ne l’avait prévu dans l’effervescence de ses idées ; et, comme vaincue pour la première fois de sa vie par l’effroi de sa misère et de sa faiblesse, elle se mit à marcher précipitamment, cherchant les taillis les plus sombres pour se réfugier en cas d’attaque. Pour comble d’inquiétude, elle s’aperçut bientôt qu’elle ne suivait plus aucun sentier battu, et qu’elle marchait au hasard dans un bois de plus en plus profond et désert. Si cette morne solitude la rassurait à certains égards, l’incertitude de sa direction lui faisait appréhender de revenir sur ses pas et de se rapprocher à son insu du château des Géants. Anzoleto y était peut-être encore : un soupçon, un accident, une idée de vengeance contre Albert pouvaient l’y avoir retenu. D’ailleurs Albert lui-même n’était-il pas à craindre dans ce premier