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LÉLIA.

entendu hier louer sa pudeur et sa beauté. Je savais son secret, j’ai voulu qu’elle fût heureuse et que Sténio fût le rival des rois.



Ils arrivèrent au pied d’un antique donjon… (Page 85.)

— Bonne Zinzolina ! dit Sténio avec affection. » Puis reprenant son indolence : « Il est vrai que je l’ai trouvée belle ; mais c’était hier… Et puis il ne faut pas posséder ce qu’on admire, parce qu’on le souillerait et qu’on n’aurait plus rien à désirer.

— Vous pouvez aimer Claudia comme vous l’entendrez, reprit Zinzolina, vous mettre à genoux, baiser sa main, la comparer aux anges, et vous retirer l’âme remplie de cet amour idéal qui convenait jadis à la mélancolie de vos pensées.

— Non, ne me parlez plus d’elle, répondit Sténio avec impatience ; faites-lui dire que je suis mort. Je sens que, dans la disposition où je suis, elle me déplairait, et je lui dirais qu’elle est bien effrontée d’oublier ainsi son rang et son honneur pour se livrer à un bachelier libertin. Page, prends ma bourse, et va me chercher la bohémienne qui chantait hier matin sous ma fenêtre.

— Elle chante fort bien, répondit le page dans un calme respectueux ; mais Votre Seigneurie ne l’a pas vue…

— Et que t’importe ! dit Sténio en colère.

— C’est, Votre Excellence, qu’elle est affreuse, dit le page.

— Tant mieux, répondit Sténio.

— Noire comme la nuit, dit le page.

— En ce cas, je la veux tout de suite. Obéis, ou je te jette par la fenêtre. »

Le page obéit ; mais à peine fut-il à la porte que Sténio le rappela.

« Non, je ne veux pas de femmes, dit-il ; je veux de l’air, je veux du jour. Pourquoi sommes nous enfermés ainsi dans les ténèbres quand le soleil monte dans les cieux ? Cela ressemble à une malédiction.

— Êtes-vous encore endormi, que vous ne voyez pas l’éclat des bougies ? dit Antonio.

— Qu’on les éloigne et qu’on ouvre les persiennes, dit Sténio, dont le visage pâlissait. Pourquoi nous priver de l’air pur, du chant des oiseaux qui s’éveillent, du parfum des fleurs qui s’ent’rouvrent ? Quel crime avons-nous commis pour perdre en plein jour la vue du ciel ?

— Voici le poëte qui reparaît, dit Marino en levant