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GABRIEL.

t’aliéner sans folie ? (Étendant les bras vers le ciel.) Rends-moi cette liberté, mon Dieu ! mon âme se dilate rien qu’à prononcer ce mot : liberté !…

GIGLIO, le frappant d’un coup de poignard.

Droit au cœur, c’est fait !

GABRIEL.

C’est bien frappé, mon maître. Je demandais la liberté, et tu me l’as donnée.

(Il tombe, Mosca remplit l’air de ses hurlements.)

GIGLIO.

Le voilà mort ! Te tairas-tu, maudite bête ? (Il veut le prendre, Mosca s’enfuit en aboyant.) Il m’échappe, Hâtons-nous d’achever la besogne. (Il s’approche de Gabriel, et essaie de le soulever.) Ah ! courage de lièvre ! Je tremble comme une feuille ! Je n’étais pas fait pour ce métier-là.

GABRIEL.

Tu veux me jeter dans le Tibre ? Ce n’est pas la peine. Laissez-moi mourir en paix à la clarté des étoiles. Tu vois bien que je n’appelle pas au secours, et qu’il m’est indifférent de mourir.

GIGLIO.

Voilà un homme qui me ressemble. À l’heure qu’il est, si ce n’était l’affaire de comparaître au jugement d’en haut, je voudrais être mort. Ah ! j’irai demain à confesse !… Mais, par tous les diables ! j’ai déjà vu ce jeune homme quelque part… Oui, c’est lui ! Oh ! je me briserai la tête sur le pavé !

(Il se jette à genoux auprès de Gabriel et veut retirer le poignard de son sein.)
GABRIEL.

Que fais-tu, malheureux ? Tu es bien impatient de me voir mourir !

GIGLIO.

Mon maître ! mon ange !… mon Dieu ! Je voudrais te rendre la vie. Ah ! Dieu du ciel et de la terre, empêchez qu’il ne meure !…

GABRIEL.

Il est trop tard, que t’importe !

GIGLIO, à part.

Il ne me reconnaît pas ! Ah ! tant mieux ! S’il me maudissait à cette heure, je serais damné sans rémission !

GABRIEL.

Qui que tu sois, je ne t’en veux pas, tu as accompli la volonté du ciel.

GIGLIO.

Je ne suis pas un voleur, non. Tu le vois, maître, je ne veux pas te dépouiller.

GABRIEL.

Qui donc t’envoie ? Si c’est Astolphe… ne me le dis pas… Achève-moi plutôt…

GIGLIO.

Astolphe ? Je ne connais pas cela…

GABRIEL.

Merci ! Je meurs en paix. Je sais d’où part le coup… Tout est bien.

GIGLIO.

Il meurt ! Ah ! Dieu n’est pas juste ! Il meurt ! Je ne peux pas lui rendre la vie… (Mosca revient et lèche la figure et les mains de Gabriel.) Ah ! cette pauvre bête ! elle a plus de cœur que moi.

GABRIEL.

Ami, ne tue pas mon pauvre chien…

GIGLIO.

Ami ! il m’appelle ami !

(Il se frappe la tête avec les poings.)
GABRIEL.

On peut venir… Sauve-toi !… Que fais-tu là ?… Je ne peux en revenir. Va recevoir ton salaire… de mon grand-père !

GIGLIO.

Son grand-père ! Ah ! voilà les gens qui nous emploient ! voilà comme nos princes se servent de nous !…

GABRIEL.

Écoute !… je ne veux pas que mon corps soit insulté par les passants… Attache-moi à une pierre… et jette-moi dans l’eau…

GIGLIO.

Non ! tu vis encore, tu parles, tu peux en revenir. Ô mon Dieu ! mon Dieu ! personne ne viendra-t-il à ton secours ?

GABRIEL.

L’agonie est trop longue… Je souffre. Arrache-moi ce fer de la poitrine. (Giglio retire le poignard.) Merci, je me sens mieux… je me sens… libre !… mon rêve me revient. Il me semble que je m’envole la-haut ! tout en haut !

(Il expire.)
GIGLIO.

Il ne respire plus ! J’ai hâté sa mort en voulant le soulager… Sa blessure ne saigne pas… Ah ! tout est dit !… C’était sa volonté… Je vais le jeter dans la rivière… (Il essaie de relever le cadavre de Gabriel.) La force me manque, mes yeux se troublent, le pavé s’enfuit sous mes pieds !… Juste Dieu !… l’ange du château agite ses ailes et sonne la trompette… C’est la voix du jugement dernier ! Ah ! voici les morts, les morts qui viennent me chercher.

(Il tombe la face sur le pavé et se bouche les oreilles.)


Scène X.


ASTOLPHE, LE PRÉCEPTEUR, GABRIEL, mort, GIGLIO, étendu à terre.
ASTOLPHE, en marchant.

Eh bien ! ce n’est pas vous qui aurez manqué à votre promesse. Ce sera moi qui aurai forcé votre volonté.

LE PRÉCEPTEUR, s’arrêtant irrésolu.

Je suis trop faible… Gabriel ne voudra plus se fier à moi.

ASTOLPHE, l’entraînant.

Je veux la voir, la voir ! embrasser ses pieds. Elle me pardonnera ! Conduisez-moi.

MARC, venant à leur rencontre, une lanterne à la main, l’épée dans l’autre.

Monsieur l’abbé, est-ce vous ?

LE PRÉCEPTEUR.

Où cours-tu, Marc ? ta figure est bouleversée ! Où est ton maître ?

MARC.

Je le cherche ! il est sorti… sorti pendant que je m’étais endormi ! Malheureux que je suis !… J’allais voir chez vous.

LE PRÉCEPTEUR.

Je ne l’ai pas rencontré… Mais il est sorti armé, n’est-ce pas ?

MARC.

Il est sorti sans armes pour la première fois de sa vie, il a oublié jusqu’à son poignard. Ah ! je n’ose vous dire mes craintes. Il avait tant de chagrin ! Depuis quelques jours il ne mangeait plus, il ne dormait plus, il ne lisait plus, il ne restait pas un instant à la même place.

ASTOLPHE.

Tais-toi, Marc, tu m’assassines. Cherchons-le !… Que