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MATTEA.

ressée et le caractère plus fier. Elle le blâma sévèrement d’hésiter à remplir ses engagements, surtout lorsque la passion funeste de leur fille pour ce Turc devait leur faire une loi de l’éloigner de leur maison.



Ser Zacomo Spada. (Page 41)

Mais elle ne put amener son mari à cet avis. Il était dans leurs querelles d’une souplesse de formes qui rachetait l’inflexibilité de ses opinions et de ses desseins. Il finit par la décider à envoyer sa fille pour quelques jours à la campagne chez la signora Veneranda, qui le lui avait offert, promettant, durant son absence, de terminer avantageusement l’affaire d’Abul. Le Turc, d’ailleurs, partirait après cette opération ; il ne s’agissait que de mettre la petite en sûreté jusque-là. « Vous vous trompez, dit Loredana ; il restera jusqu’à ce que sa soie puisse être emportée, et s’il la met en couleur ici, ce ne sera pas fait de si tôt. » Néanmoins elle consentit à envoyer sa fille chez sa protectrice. M. Spada, cachant bien à sa femme qu’il avait donné rendez-vous à Abul pour le soir même, et se promettant de le recevoir sur la place ou au café, loin de l’œil de son Honesta, monta, en attendant, à la chambre de sa fille, se vantant tout haut de la gronder et se promettant bien tout bas de la consoler.

« Voyons, lui dit-il en se jetant tout haletant de fatigue et d’émotion sur une chaise, qu’as-tu dans la tête ? cette folie est-elle passée ?

— Non, mon père, dit Mattea d’un ton respectueux, mais ferme.

— Oh ! par le corps de la Madone, s’écria Zacomo, est-il possible que tu penses vraiment à ce Turc ? Espères-tu l’épouser ? Et le salut de ton âme, crois-tu qu’un prêtre t’admettrait à la communion catholique après un mariage turc ? Et ta liberté ? ne sais-tu pas que tu seras enfermée dans un harem ? Et ta fierté ? tu auras quinze ou vingt rivales. Et ta dot ? tu n’en profiteras pas, tu seras esclave. Et tes pauvres parents ? les quitteras-tu pour aller demeurer au fond de l’Archipel ? Et ton pays, et tes amis ; et Dieu, et ton vieux père ? »

Ici M. Spada s’attendrit, sa fille s’approcha et lui baisa la main ; mais faisant un grand effort pour ne pas s’attendrir elle-même :

« Mon père, dit-elle, je suis ici captive, opprimée, esclave, autant qu’on peut l’être dans le pays le plus barbare. Je ne me plains pas de vous, vous avez toujours été doux pour moi ; mais vous ne pouvez pas me défendre.