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JEAN ZISKA.

impériales réussirent à s’emparer du Petit-Côté. Un corps de Hongrois se porta dans le grand enclos de l’archevêché ; mais les Taborites, venant renforcer les habitants de Prague sur tous les points compromis, décidèrent la victoire, et repoussèrent les Impériaux jusque la Moldaw. Ziska, qui se gardait assez ordinairement pour les coups décisifs, se tenait retranché et bien fortifié, avec l’élite de ses Taborites, sur une haute montagne, à l’orient de la nouvelle ville, près du gibet de Prague[1]. Les Allemands, voyant en lui le destin de la bataille, allèrent l’y attaquer avec la résolution de le forcer. L’infanterie saxonne coupa les fascines, combla les fossés, et fraya le chemin à la cavalerie. Ziska se défendait terriblement. Le robuste et intrépide vigneron Robyck combattit à ses côtés et repoussa plusieurs fois l’ennemi. Deux femmes et une jeunes fille taborites firent des prodiges de valeur, et tombèrent percées de coups, sous les pieds des chevaux, ayant refusé, à plusieurs reprises, de se rendre. Cependant le nombre des assiégeants grossissait toujours ; et Ziska était aux abois, lorsque les Taborites de la nouvelle ville, conduits par Jean le Prémontré, qui portait le calice en guise d’étendard, s’élancèrent à la défense de leur chef, et repoussèrent les Impériaux avec perte, quoiqu’à chaque instant l’empereur leur expédiât de nouveaux détachements. Il fallut abandonner l’attaque ce jour-là. Quelques jours après, la main d’une femme acheva la défaite des Impériaux. Une Praguoise taborite s’introduisit, la nuit, dans leur camp, par un grand vent, et mit le feu aux machines de siège. Beaucoup de richesses et d’effets de grand prix furent consumés ; mais ce qui causa la plus grande perte, en cette circonstance, fut l’incendie de toutes les échelles. L’armée impériale fut consternée de ce dernier échec, et l’empereur, effrayé, leva le siège le 30 juillet. Il avait duré un mois, durant lequel ceux de Prague, pour montrer qu’ils n’avaient pas peur, ne fermaient les portes ni jour ni nuit. Le jour même de son départ, il fit la misérable bravade de se faire couronner roi de Bohême, dans la forteresse de Saint-Wenceslas, par l’archevêque Conrad. Il créa plusieurs chevaliers, et, en s’en allant, il enleva les trésors que son père et son frère avaient cachés à Carlstein, et les lames d’or et d’argent dont les tombeaux des saints étaient couverts, dans la basilique de Saint-Wenceslas. Il engagea plusieurs villes de Bohême au duc de Saxe pour payer ses troupes, les joyaux de la couronne à des banquiers, et les reliques impériales aux Nurembergeois.

La retraite de Sigismond fut désastreuse. Harcelé par les Hussites, de défaite en défaite, il regagna la Hongrie, licencia ses troupes, et ordonna aux garnisons allemandes qu’il laissait dans les forteresses de Bohême de ravager les terres des seigneurs de Podiebrad dont il avait eu à souffrir particulièrement durant cette malencontreuse croisade. C’est cette intrépide et persévérante famille des Podiebrad qui a donné quelques années plus tard un roi hussite à la Bohême.

Ziska quitta Prague peu après Sigismond et alla de nouveau travailler à affamer l’armée impériale lorsqu’il lui plairait de revenir ; c’est-à-dire qu’il reprit son système de ravage et d’extermination, ne perdant pas un seul jour pour cette œuvre de patriotisme infernal, ne laissant pas refroidir un instant la sanglante ferveur de ses Taborites.

Pendant son absence, les Praguois continuèrent à attaquer les forteresses de Wisrhad et de Saint-Wenceslas qui, toujours garnies d’Impériaux et munies de machines de guerre, n’osaient remuer et se bornaient à la défensive. Une nuit, les Taborites de la nouvelle ville ayant échoué devant Wisrhad et se retirant en désordre, trouvèrent les portes de la nouvelle ville fermées derrière eux, par ordre du sénat. Si la garnison impériale eût osé se hasarder quelques pas plus loin, cette courageuse phalange de Taborites eut été anéantie. Elle ne dut son salut qu’à la timidité des Impériaux, qui rentrèrent dans leur fort sans se douter que l’ennemi était à leur merci. Le lendemain, ces Taborites, indignés de la perfidie du sénat, remplirent la ville de leurs imprécations, et tous les Taborites de Prague se préparèrent à abandonner cette lâche cité pour laquelle ils avaient versé leur sang et qui les immolait aux terreurs de son juste-milieu. Le Prémontré fit comprendre au peuple que son salut était dans les Taborites. La bourgeoisie, effrayée, convoqua les prêtres, les magistrats et les principaux citoyens. Le moine se chargea de porter la parole pour cette réconciliation. Amende honorable fut faite aux Taborites. Le sénat protesta que les portes avaient été fermées par inadvertance. On conjura les défenseurs de la liberté de rester dans Prague. Malgré les larmes et les prières de la peur, un grand nombre de Taborites plièrent bagage, secouèrent la poussière de leurs pieds, remontèrent sur leurs chariots, et s’en allèrent, la monstrance en tête, rejoindre Ziska et le renforcer dans ses excursions.

Il leur donna autant d’ouvrage qu’ils en pouvaient désirer. Arrivé devant Prachatitz, où il avait fait ses premières études, il offrit sa protection à cette ville, à condition qu’elle chasserait les catholiques. Mais ces derniers, qui étaient en nombre, lui firent répondre qu’ils ne craignaient guère un mince gentilhomme tel que lui. Le redoutable aveugle leur fit chèrement expier cette impertinence. Il s’empara de la ville en un tour de main, fit sortir les femmes et les enfants, égorgea tous les catholiques, et mit le feu à l’église où s’était réfugié le juste-milieu ; huit cents personnes périrent sous les décombres.

Le 15 de septembre, les Taborites, les Orébites et ceux des villes sacrées, ayant à leur tête des chefs d’une valeur éprouvée, recommencèrent le siège du fort de Wisrhad. La garnison, épuisée et découragée, écrivit à l’empereur qu’elle ne pouvait tenir plus d’un mois, et n’en reçut que des promesses. Nicolas de Hussinetz intercepta les vivres, et les lettres que l’empereur envoya enfin pour annoncer son arrivée. Réduits à la dernière extrémité, ceux de Wisrhad ayant tenu encore cinq semaines, et mangé six-vingts chevaux, des chiens, des chats et des rats, envoyèrent leurs officiers aux Praguois pour capituler. Il fut convenu qu’on se tiendrait tranquille de part et d’autre pendant quinze jours, et que le seizième, si l’empereur n’envoyait point de vivres, la garnison se rendrait aux Hussites sans coup férir.

Pendant ce temps, Sigismond ayant assemblé une nouvelle armée, s’arrêtait à Cuttemberg. Sa Majesté impériale, plongée dans une profonde mélancolie, tâchait de divertir son chagrin avec des instruments de musique. Un autre délassement était d’envoyer ses hussards incendier et massacrer, sans épargner ni femmes ni enfants, sur les terres des seigneurs bohèmes qui avaient embrassé le hussitisme. Il parlementa avec les députés praguois, essaya de les tromper, et finit par les menacer avec sa brutalité ordinaire, qui l’emportait encore sur ses instincts de ruse et de fraude. Enfin, le 31 octobre, il parut devant Prague avec une armée qu’il avait fait venir de Moravie. Il se montra sur une colline voisine de Wisrhad, l’épée à la main, donnant ainsi à la garnison le signal du combat. Mais il était trop tard d’un jour ; le terme de la convention était expiré de la veille. Ceux de Wisrhad, en gens de parole, et touchés de la foi que les Taborites leur avaient gardée en les laissant tranquilles durant la trêve, ne répondirent pas au signal de l’empereur. Un morne silence planait sur la forteresse. Ces malheureux soldats, épuisés par la faim et les maladies, restaient comme des spectres autour de leurs créneaux, immobiles témoins du combat qui s’engageait sous leurs yeux. L’empereur, stupéfait d’abord, entra bientôt dans une grande fureur ; et comme ses officiers, admirant avec tristesse les ingénieuses fortifications des Taborites, l’engageaient à ne pas exposer sa personne et son armée dans une entreprise impossible : « Non, non, s’écria-t-il, je veux châtier ces porte-fléaux. — Ces fléaux sont fort redoutables, reprit un des généraux. — Ah ! vous autres Moraves, s’écria Sigismond hors de lui, je vous savais bien poltrons, mais pas à ce point ! » Aussitôt les cava-

  1. Ce lieu porte encore le nom de Montagne de Ziska.