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L’USCOQUE.

non pour l’orgueil. Qu’ai-je fait en écoutant la voix menteuse de l’héroïsme ? J’ai détruit le repos et la confiance de Giovanna ; je l’ai arrachée à la sécurité de sa vie calme et modeste ; je l’ai attirée au milieu des orages, dans une prison suspendue entre le ciel et l’onde, où bientôt sa santé s’est altérée ; et, à la vue de ses souffrances, mon âme s’est brisée, j’ai perdu toute énergie, toute mémoire, tout talent. Absorbé par l’amour, consterné par la crainte de voir périr celle que j’aimais, j’ai oublié que j’étais un guerrier pour me rappeler seulement que j’étais l’époux et l’amant de Giovanna. Je me suis déshonoré peut-être, je l’ignore ; que m’importe ? Il n’y a pas de place en moi pour d’autres chagrins. »



La conversation du nouveau groupe… (Page 35.)

Ces infâmes mensonges eurent un tel succès, que Morosini en vint à chérir Soranzo de toute la chaleur de son âme grande et candide. Lorsque la douleur de son neveu lui parut calmée, il voulut le ramener à Venise, où les affaires de la république l’appelaient lui-même. Il le prit donc sur sa propre galère, et durant le voyage il fit les plus généreux efforts pour rendre le courage et l’ambition à celui qu’il appelait son fils.

La galère de Soranzo, objet de toute sa secrète sollicitude, marchait de conserve avec celles qui portaient Morosini et sa suite. Vous pensez bien que sa maladie, son désespoir et sa folie n’avaient pas empêché Soranzo de couver de l’œil, à toute heure, sa chère galéotte lestée d’or. Naam, le seul être auquel il pût se fier autant qu’à lui-même, était assise à la proue, attentive à tout ce qui se passait à son bord et à celui de l’amiral. Naam était profondément triste ; mais son amour avait résisté à ces terribles épreuves. Soit que Soranzo eût réussi à la tromper comme les autres, soit qu’une douleur réelle, suite et châtiment de sa feinte douleur, se fût emparée de lui, Naam avait cru lui voir répandre de véritables larmes ; les accès de son délire l’avaient effrayée. Elle savait bien qu’il mentait aux hommes ; mais elle ne pouvait imaginer qu’il voulût mentir à elle aussi, et elle crut à ses remords. Et puis, par quels odieux artifices Soranzo, sentant combien le dévouement de Naam lui était nécessaire, n’avait-il pas cherché à reprendre sur elle son premier ascendant ! Il avait essayé de lui faire comprendre le sentiment de la jalousie chez les femmes européennes, et à lui inspirer une haine posthume pour Giovanna ; mais là il avait échoué. L’âme