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L’USCOQUE.

l’évidence la certitude de sa honte et de son malheur.



Il tomba sur ses genoux. (Page 29.)

L’horloge a sonné minuit. Un profond silence règne dans l’île et dans le château. Le temps est calme et clair, la mer silencieuse. Giovanna est à sa fenêtre secrète. Elle entend l’approche de la barque au pied du rocher. Elle voit des ombres se dresser sur la rive, et comme des taches noires se mouvoir régulièrement sur le sable blanc. Ce n’est ni Orio ni Naam, car le lévrier écoute et ne donne aucun signe d’affection ni de haine. La barque s’éloigne ; mais les ombres qui en sont sorties ont disparu, comme si elles se fussent enfoncées dans la profondeur du rocher.

Cette fois, l’air est si sonore et la mer si paisible que les moindres bruits arrivent à l’oreille de Giovanna. Les anneaux de fer ont crié faiblement dans leurs crampons ; l’échelle a grincé sous le poids d’un homme : une voix a appelé d’en haut avec précaution ; plusieurs voix ont murmuré d’en bas ; un signal, le cri d’un oiseau de nuit mal imité, a été échangé. Tout rentre dans le silence. L’œil ne peut rien saisir ; la base du rocher rentre en cet endroit sous la corniche des roches supérieures. Mais tout à coup des mouvements sourds, des sons inarticulés ont retenti aux entrailles de la terre. Giovanna colle son oreille sur les tapis de sa chambre. Elle entend le bruit de plusieurs personnes qui se meuvent comme dans une cave située au-dessous de son appartement. Puis elle n’entend plus rien.

Mais elle veut éclaircir entièrement le mystère. Cette fois, ce n’est plus à l’instinct divinatoire et à la révélation angélique des songes qu’elle demandera la lumière, c’est au témoignage de ses sens. Elle ne songe plus à mettre son voile : peu lui importune d’être reconnue et maltraitée. Demi-nue et les cheveux flottants, elle court sans précaution dans les galeries et dans les escaliers, elle s’élance vers la tour de Soranzo. Elle ne connaît plus la pudeur de l’orgueil outragé, ni la timide soumission de la femme, ni la crainte de la mort. Elle veut savoir et mourir. Orio a donné cependant des ordres sévères pour que la porte de ses appartements soit gardée à vue. Mais les consciences coupables craignent l’horreur de la nuit. Le garde, qui voit venir à lui cette femme échevelée avec tant d’assurance et les yeux animés d’une résolution désespérée, la prend à son tour pour un spectre, et tombe la face contre terre. Cet