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LE MEUNIER D’ANGIBAULT.

m’en débarrasser, quoique je sache fort bien que je ne ferais pas là une bonne œuvre véritable ; car en abandonnant leurs biens, ces premiers disciples de l’égalité fondaient une société. Ils apportaient aux malheureux une législation qui était en même temps une religion. Cet argent était le pain de l’âme en même temps que celui du corps. Ce partage était une doctrine et faisait des adeptes. Aujourd’hui, il n’y a rien de semblable. On a l’idée d’une communauté sainte et providentielle, on n’en sait pas encore les lois. On ne peut pas recommencer le petit monde des premiers chrétiens, on sent qu’il faudrait la doctrine ; on ne l’a pas, et d’ailleurs, les hommes ne sont pas disposés à la recevoir. L’argent qu’on distribuerait à une poignée de misérables n’enfanterait chez eux que l’égoïsme et la paresse, si on ne cherchait à leur faire comprendre les devoirs de l’association. Et, d’une part, je vous le répète, ami, il n’y a pas encore assez de lumières dans l’initiation, de l’autre, il n’y a pas encore assez de confiance, de sympathie et d’élan chez les initiés. Voilà pourquoi lorsque Marcelle… (et moi aussi j’ose la nommer puisque vous avez nommé Rose) m’a proposé de faire comme les apôtres et de donner aux pauvres ces richesses qui me faisaient horreur, j’ai reculé devant un sacrifice que je ne me sens pas la science et le génie de faire fructifier réellement entre ses mains pour le progrès de l’humanité. Pour posséder la richesse et la rendre utile comme je l’entends, il faut être plus qu’un homme de cœur, il faut être un homme de génie. Je ne le suis pas, et, en songeant aux vices profonds, à l’épouvantable égoïsme qu’impose la fortune à ceux qui la possèdent, je me sens pénétré d’effroi. Je remercie Dieu de m’avoir rendu pauvre, moi aussi, qui ai failli hériter de beaucoup d’argent, et je fais le serment de ne jamais posséder que le salaire de ma semaine !



Marcelle de Blanchemont était plus petite de taille. (Page 54.)

— Ainsi, vous remerciez Dieu de vous avoir rendu sage par un pur effet de sa bonté, et vous profitez du hasard qui vous a préservé du mal ? C’est de la vertu très-facile, et je n’en suis pas si émerveillé que vous croyez. Je comprends maintenant pourquoi madame Marcelle était si contente hier d’être ruinée. Vous lui avez mis en tête toutes ces belles choses-là ! C’est joli, mais ça ne signifie rien. Qu’est-ce que c’est que des gens qui disent : Si j’étais riche, je serais méchant, et je suis enchanté de ne l’être pas ? C’est l’histoire de ma grand’mère qui disait :