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LEONE LEONI.

serais qu’une honnête femme ; avec un homme tel que moi, tu es une femme sublime, et la dette de reconnaissance qui s’amasse dans mon cœur est immense comme tes souffrances et tes sacrifices. Va, c’est quelque chose que d’être aimée et que d’avoir droit à une passion immense ; sur quel autre auras-tu jamais ce droit comme sur moi ? Pour qui recommenceras-tu les tourments et le désespoir que tu as subis ? Crois-tu qu’il y ait autre chose dans la vie que l’amour ? Pour moi, je ne le crois pas. Et crois-tu que ce soit chose facile que de l’inspirer et de le ressentir ? Des milliers d’hommes meurent incomplets, sans avoir connu d’autre amour que celui des bêtes ; souvent un cœur capable de le ressentir cherche en vain où le placer, et sort vierge de tous les embrassements terrestres pour l’aller trouver peut-être dans les cieux. Ah ! quand Dieu nous l’accorde sur la terre, ce sentiment profond, violent, ineffable, il ne faut plus, Juliette, désirer ni espérer le paradis ; car le paradis, c’est la fusion de deux âmes dans un baiser d’amour. Et qu’importe, quand nous l’avons trouvé ici-bas, que ce soit dans les bras d’un saint ou d’un damné ? qu’il soit maudit ou adoré parmi les hommes, celui que tu aimes, que t’importe, pourvu qu’il te le rende ?



Des soldats qui passaient me relevèrent. (Page 38.)

Est-ce moi que tu aimes ou est-ce le bruit qui se fait autour de moi ? Qu’as-tu aimé en moi dès le commencement ? est-ce l’éclat qui m’environnait ? Si tu me hais aujourd’hui, il faudra que je doute de ton amour passé ; il faudra qu’au lieu de cet ange, au lieu de cette victime dévouée dont le sang répandu pour moi coule incessamment goutte à goutte sur mes lèvres, je ne voie plus en toi qu’une pauvre fille crédule et faible qui m’a aimé par vanité et qui m’abandonne par égoïsme, Juliette, Juliette, songe à ce que tu fais si tu me quittes ! Tu perdras le seul ami qui te connaisse, qui t’apprécie et qui te vénère, pour un monde qui te méprise déjà, et dont tu ne retrouveras pas l’estime. Il ne te reste que moi au monde, ma pauvre enfant ; il faut que tu t’attaches à la fortune de l’aventurier, ou que tu meures oubliée dans un couvent. Si tu me quittes, tu es aussi insensée que cruelle ; tu auras eu tous les maux, toute la peine, et tu n’en recueilleras pas les fruits ; car à présent, si, malgré tout ce que tu sais, tu peux encore m’aimer et me suivre, sache que j’aurai pour toi un amour dont tu n’as pas l’idée, et que jamais je n’aurais seulement soup-