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HORACE.

ple, chaste et doux, qui jadis me faisait rentrer en moi-même et tomber à genoux au milieu de mes soupçons et de mes emportements ! Elle a eu ce soir, je vous l’assure, un succès, non pas éclatant, mais bien réel et bien mérité. Son rôle était mauvais, faux, ridicule même ; elle a su le rendre vrai, noble et saisissant, sans grands effets, sans moyens téméraires.



Et je me suis jeté à ses pieds. (Page 104.)

On applaudissait peu ; on ne disait pas : C’est sublime, c’est délirant ! mais chacun regardait son voisin et disait : Voilà qui est bien ; comme c’est bien ! Oui, bien est le mot qui convient. J’ai appris dans le monde, où l’on apprend quelques bonnes choses au milieu d’un grand nombre de mauvaises, que le bien est plus difficile à atteindre que le beau ; ou, pour mieux dire, le bien est une face du beau plus raffinée, plus châtiée que toutes les autres. Ah ! vraiment, je serai fort aise que toutes ces impertinentes éventées qu’on appelle femmes du monde voient comme cette pauvre grisette sait marcher, s’asseoir, tenir son bouquet, causer, sourire, avec plus de convenance et de charme qu’elles toutes ! Mais où donc Marthe a-t-elle appris tout cela ? Oh ! que l’intelligence est une force rapide et pénétrante ! Sur mon honneur, je ne me serais jamais douté que Marthe en eût autant ; et cette pensée m’a fait ouvrir les yeux. Combien je l’ai méconnue ! me disais-je en la regardant. Je l’ai crue si souvent bornée ou extravagante, et la voilà qui me donne un démenti, et qui semble se venger de mon erreur, en se montrant accomplie et triomphante, devant moi, à tout ce public, à tout Paris ! car tout Paris va bientôt parler d’elle, et se disputer le plaisir de la voir et de l’applaudir ! J’ai beaucoup rougi de moi, je vous l’avoue : et dès que la pièce où elle jouait a été finie, j’ai couru à la porte des acteurs, j’ai forcé toutes les consignes, j’ai mis en fureur tous les portiers et tous les gardiens de cet étrange sanctuaire ; j’ai cherché, j’ai trouvé sa loge, j’ai poussé la porte après avoir frappé, et, sans attendre qu’on vînt, selon l’usage, parlementer avec moi, j’ai osé pénétrer jusqu’à elle. Elle était encore dans son élégant costume, mais elle avait essuyé son fard ; ses cheveux, dont elle avait ôté les fleurs, tombaient plus longs, plus noirs, et plus beaux que jamais sur ses épaules de reine. Elle était encore plus belle que sur la scène, et je me suis jeté à ses pieds ; j’ai pressé ses genoux contre ma poitrine, au grand scandale de sa soubrette, qui m’a paru une villageoise bien