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HORACE.

assez pour s’emporter, mais de piquants reproches, qui la blessèrent profondément. Dès lors, Horace fut l’objet de la haine implacable de cette femme. Elle connaissait assez particulièrement la veuve qu’il courtisait, et déjà elle s’était aperçue de la tournure que prenait cette liaison. Elle lui témoigna de l’amitié, gagna sa confiance, et la dégoûta d’Horace en lui disant ce simple mot : C’est un homme qui parle. Horace fut éconduit brusquement. Il lutta, et sa défaite n’en fut que plus honteusement consommée.



C’était la vraie fille de Lucifer. (Page 98.)

Cette mortification cruelle ne pouvait arriver dans un plus fâcheux moment. Son second roman venait de paraître, et il n’était pas bon. Horace avait épuisé dans le premier la petite somme de talent qu’il avait amassée, parce qu’il y avait dépensé la petite somme d’émotion qu’il avait reçue. Il eût fallu, pour produire un nouvel ouvrage, que sa vie intérieure fût renouvelée assez rapidement pour l’échauffer et l’inspirer une seconde fois. Il avait forcé son cerveau à un enfantement qui avortait. En essayant de peindre Léonie et son amour pour elle, il avait été froid et faux comme son modèle et comme son propre sentiment. Il eût pu avoir néanmoins un certain succès dans un certain monde avec ce mauvais ouvrage, s’il eût désigné clairement la vicomtesse à la méchanceté du public des salons, et s’il eût fourni à ses élégants lecteurs l’appât d’un petit scandale. Mais Horace avait un trop noble cœur pour chercher ce genre de vogue. Il avait tellement poétisé son héroïne, qu’elle n’était pas vraie, et que personne ne pouvait la reconnaître. Incapable de garder un secret d’amour, il était également incapable de le proclamer froidement et par vengeance.

Le même jour où il fut congédié par la prudente veuve, il perdit au jeu ses derniers louis, et rentra chez lui dans une disposition d’esprit assez tragique. Il trouva sur sa cheminée une lettre de son éditeur, en réponse à un billet qu’il lui avait écrit la veille pour lui demander de nouvelles avances en retour de la promesse d’un nouveau roman. « Odieux métier ! s’écria-t-il en décachetant la lettre ; il faudra donc écrire encore, écrire toujours, quelle que soit ma disposition d’esprit ; être léger de style avec une cervelle appesantie de fatigue, tendre de sentiments avec une âme desséchée de colère, frais et fleuri de métaphores avec une imagination flétrie par le dégoût ! » Il brisa convulsivement le cachet, et, à sa grande surprise,